Cinq ans après l’attentat de la grande mosquée de Québec, Sami Aoun, professeur émérite de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, signe l’ouvrage Penser la citoyenneté. Laïcité, pluralisme et islam aux éditions Médiaspaul. Il se penche sur les crises qui secouent à la fois la démocratie occidentale et l’islam et qui rendent plus difficile l’avènement d’une société plus harmonieuse. Difficile, mais pas impossible, selon le politologue.
Il observe que l’euphorie des lendemains de Guerre froide a fini par faire place à un «certain déclin de la démocratie libérale».
«À tel point qu’elle va perdre de son attractivité et de son magnétisme d’une manière mesurable. Au cours des dernières années, nous avons vu l’émergence d’un certain cynisme politique, du populisme et de la démagogie. Nous avons même remarqué une perturbation dans les liens entre les citoyens», explique Sami Aoun.
La laïcité québécoise
Au Québec, cette crise de la démocratie libérale s’accompagne d’une laïcité qui provoque des tensions au sein de la population. Elle joue cependant un rôle capital.
«L’avancée de la laïcité est une condition très importante pour la bonne santé de la démocratie», affirme le professeur. Parmi ses caractéristiques fondamentales, la neutralité religieuse de l’État revêt une importance capitale.
«Ce n’est pas une neutralité absolue. Cela n’existe pas, dit Sami Aoun. La neutralité elle-même est une réaffirmation laïque de valeurs religieuses que la modernité a adoptées: la liberté de conscience, le for intérieur, la centralité de la dignité humaine, tout cela vient du christianisme.»
Cette neutralité tourne le dos au concept de «religion d’État» et à l’idée d’une gouvernance dominée par une classe cléricale.
«Dans la jurisprudence, on ne se réfère pas à une religion au détriment de différentes conceptions du bien ou du mal, qu’elles soient religieuses ou morales. La laïcité en ce sens est une garantie de la liberté de croire ou de ne pas croire», rappelle-t-il.
Cependant, dans certains pays démocratiques les religions font de plus en plus peur. «Il y a une phobie des religions, de l’islam en particulier, et même du christianisme aussi», observe le professeur.
Un islam des Lumières
Dans ce contexte, la présence de l’islam en Occident «interpelle» la démocratie libérale afin qu’elle lui donne une place au sein de la société.
«Et la démocratie interpelle l’islam afin qu’elle s’interroge sur la manière dont elle pourrait être un facteur de pacification et non un facteur de radicalisation, de rejet des valeurs démocratiques et du vivre ensemble», analyse Sami Aoun.
Le commentateur de l’actualité géopolitique est d’avis que si une réconciliation entre la modernité et l’islam est possible, cela devra avoir lieu en Occident. Cette rencontre, dit-il, est pratiquement impossible dans les pays de longue tradition islamique.
«Il ne faut plus chercher ailleurs un islam des Lumières», estime-t-il.
Cassure d’influence
Pour cela, poursuit-il, il faut toutefois que les musulmans occidentaux se libèrent de l’influence de religieux étrangers qui tentent de contrôler leur vie religieuse, voire politique.
Selon lui, des forces religieuses étrangères «veulent garder leur mainmise sur les communautés musulmanes, soit par des imams que l’on invite chez nous qui ne comprennent ni le français ni l’anglais et qui possèdent une charte des valeurs anti-modernité et antilibérale».
Bien qu’il considère que les contestations juridiques ou citoyennes contre la Loi sur la laïcité de l’État sont tout à fait légitimes dans une démocratie libérale, il redoute qu’elles soient sujettes à une instrumentalisation par certaines forces religieuses contre la modernité. «C’est un point à considérer lorsque l’on traite de telles questions», affirme-t-il.
Oser l’optimisme
Malgré tous ces obstacles qui obstruent la voie qui mène à la bonne entente, Sami Aoun continue de croire au pouvoir de l’échange citoyen.
«C’est le dialogue de la vie. C’est un dialogue né du partage du pain et du sel. Les citoyens qui échangent devraient être accompagnés sur ce chemin pour qu’ils puissent être en mesure de désamorcer les interprétations et les exégèses les plus violentes.»
Devant ces défis posés à la fois à la démocratie libérale et à l’islam, Sami Aoun ose même l’optimisme.
«Je crois en l’être humain, car il recherche toujours son propre intérêt. Et ses intérêts, dans une démocratie libérale, ce sont le bon commerce, la pacification des relations. Par contre, il ne faut pas être d’un optimiste naïf. Il faut toujours demeurer réaliste.»