La directive du ministre Bernard Drainville sur les salles de prières dans les écoles publiques a eu raison d’un long et fructueux partenariat entre la Polyvalente de Disraeli et l’Église évangélique de la même localité.
«La commission scolaire nous a demandé de quitter les lieux», a annoncé le pasteur de l’Église évangélique de Disraeli, Pierre Gagnon, le dimanche 20 août 2023 lors de l’avant-dernier culte célébré dans l’auditorium de la Polyvalente de Disraeli.
(La «commission scolaire» en question, c’est le Centre de services scolaire des Appalaches, une nouvelle appellation à laquelle le pasteur Gagnon ne s’habitue pas.)
«La commission scolaire nous a averti au mois de mai», a-t-il expliqué aux membres de sa congrégation.
C’est le dimanche suivant, le 27 août, que l’Église évangélique de Disraeli a tenu son dernier Café-rencontre et célébré son tout dernier culte dans la salle E-50 et dans l’auditorium Desjardins de la Polyvalente de Disraeli.
Directive ministérielle
«Les écoles sont des lieux d’apprentissage et non des lieux de culte», a déclaré le ministre de l’Éducation Bernard Drainville le 19 avril, après avoir été informé le mois précédent que «différentes pratiques de prière ont lieu dans certaines écoles publiques du Québec».
Ce jour-là, il a formellement interdit aux centres de services scolaires de permettre l’aménagement de salles de prières dans les établissements qu’ils administrent.
Deux semaines plus tôt, l’Assemblée nationale avait adopté une motion unanime où elle affirmait «que la mise en place de lieux de prière, peu importe la confession, dans les locaux d’une école publique va à l’encontre du principe de laïcité».
Dans sa directive du 19 avril, le ministre Drainville demandait à la direction de tous les centres de services scolaires de veiller à ce que dans chacune des écoles de leur territoire, aucun lieu ne soit utilisé, «en fait et en apparence», précise-t-il, «à des fins de pratiques religieuses telles que des prières manifestes ou d’autres pratiques similaires».
Afin de se conformer à cette directive, le Centre de services scolaire des Appalaches a décidé de mettre fin au partenariat qui liait depuis huit ans la Polyvalente de Disraeli et l’Église évangélique de Disraeli.
Engagement communautaire
C’est en avril 2015 qu’un premier culte protestant était célébré à l’intérieur de cette école secondaire.
«Ce fut un vrai privilège d’y être accueillis», confie en entrevue le pasteur Pierre Gagnon. «C’est vrai que la salle était très grande mais on y était très bien. Et on a toujours eu un beau partenariat avec les autorités scolaires».
Il rappelle que son Église a même organisé des spectacles et monté des comédies musicales afin de recueillir des fonds pour la Fondation Jeunesse Secondaire Disraeli, une institution scolaire locale qui offre de l’aide financière ou pédagogique aux élèves en difficulté.
«À ce jour, notre Église a amassé 60 000 $ pour cette fondation», dit le pasteur Gagnon qui y voit un signe du fort engagement de la congrégation évangélique au sein de la municipalité. «Quand on a besoin de bénévoles, on est toujours là. Et quand on avait besoin de matériel, [les responsables de la Polyvalente de Disraeli] étaient là.
Déception
Comment le pasteur a-t-il réagi lorsqu’il a appris que son Église ne pourrait plus louer les locaux scolaires en raison d’une directive ministérielle?
Sans jamais critiquer les autorités scolaires locales ou même le ministre Drainville, le pasteur Pierre Gagnon reconnaît quand même avoir été déçu et fort peiné.
«On ne comprenait pas cette décision.» Il sait fort bien que d’autres pasteurs comme lui louent des salles dans des écoles à l’extérieur de sa région. «Pourquoi sommes-nous les seuls à être sanctionnés? Il est évident qu’on a appliqué à la lettre la directive du ministre», avance-t-il sans élever la voix et se disant «toujours en amitié» avec les autorités scolaires locales.
Il explique que durant ces huit années de présence à l’intérieur de la Polyvalente de Disraeli, il a toujours versé les frais demandés pour la location des salles et n’a jamais fait l’objet de plaintes. Les autorités «savent bien que nous n’avons jamais fait de prosélytisme». D’ailleurs, fait-il remarquer, les cultes qu’il préside ont toujours lieu le dimanche matin alors que les élèves et les membres du personnel sont absents.
«Tout cela est allé bien trop vite», lâche-t-il. «Notre commission scolaire était à la recherche de partenaires de l’extérieur pour offrir leurs compétences, faire de conférences et donner un coup de main à l’éducation des jeunes. On a levé la main et on a offert nos services.»
Il croit que la directive ministérielle ne fera que fragiliser les partenariats avec les organismes du milieu tout en augmentant la stigmatisation des groupes religieux. «C’est le message qu’on nous envoie», déplore-t-il.
Autorités scolaires
Le directeur général du Centre de services scolaire des Appalaches n’a pas souhaité commenter cette affaire. Mais Jean Roberge n’a pas hésité à remettre à Présence la lettre qu’il a acheminée le 17 août au pasteur Pierre Gagnon.
«Afin de respecter votre grande implication des dernières années, nous avons pris soin de bien faire les choses dans le plus grand des respects. Nous avons donné une période de prolongement pour que vous puissiez continuer à utiliser les installations de l’école», indique-t-il, tout en rappelant qu’il a lui-même collaboré avec cette Église et son pasteur lorsqu’il était directeur de la Polyvalente de Disraeli.
«Je me souviens très bien de vos nombreuses actions afin de faciliter la vie des élèves», reconnaît-il dans sa lettre.
Le directeur général Roberge ajoute toutefois qu’il a «validé I’interprétation du décret par les instances légales de la Fédération des centres de services scolaires du Québec».
De plus, la directrice du dossier laïcité du Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques, à l’accès à l’information et à la laïcité a reçu la lettre acheminée au pasteur Gagnon. «Aucun suivi de sa part n’a été fait auprès de notre directeur général», indique Annie Moreau, conseillère en communication du Centre de services scolaire des Appalaches.
L’obligation pour l’Église évangélique de Disraeli de «quitter les lieux» est donc définitive depuis la lettre du 17 août.
«Nous comprenons très bien que cette décision place votre institution dans une position difficile, mais nous avons agi de cette façon dans le but de respecter la directive ministérielle», insiste le directeur général Jean Roberge.
Pas de commentaires
Le ministre Bernard Drainville n’a pas souhaité répondre aux questions de Présence sur la portée de sa directive du 19 avril 2023. S’adresse-t-elle aussi aux organismes externes qui louent des salles de classe? Est-elle effective lorsque les activités sont organisées les samedis et les dimanches alors que les élèves sont absents de l’école?
«Nous faisons confiance au Centre de services scolaire pour bien gérer la situation. Nous ne commenterons pas davantage», a indiqué Florence Plourde, directrice des communications auprès du cabinet du ministre de l’Éducation.