Bien qu’aucune allégation d’abus n’ait été reconnue contre le jésuite Léon Lajoie, les Mohawks de Kahnawake ont majoritairement voté pour que sa dépouille soit exhumée du sol de la Mission Saint-François-Xavier et déménagée à l’extérieur du territoire.
Le dimanche 27 mars 2022, une dépêche de la Presse canadienne révélait que 420 Mohawks auraient exercé leur droit de vote vendredi et samedi lors d’un plébiscite sur cette seule question. Plus de la moitié (223) auraient voté en faveur de l’exhumation de son corps, tandis que 195 résidents de Kahnawake ont indiqué souhaiter que ses restes demeurent sur le territoire, tout juste à côté de l’église où il a œuvré durant trente ans.
Le Conseil mohawk de Kahnawake n’a toujours pas confirmé ces chiffres et son site Web est inaccessible depuis plusieurs heures.
Les Jésuites du Canada ont indiqué avoir été informés, dès samedi soir, des résultats du plébiscite qui a «conclu que la dépouille du père Léon Lajoie devait être rapatriée» dans un cimetière de la congrégation religieuse.
Les autorités de la congrégation ont, dès le début de cette affaire, informé les chefs du Conseil mohawk de Kahnawake, qu’ils s’occuperaient «de la réinhumation du père Lajoie au cimetière des Jésuites à Saint-Jérôme et [qu’ils] couvriraient les frais juridiques et autres», si le vote en faveur de l’exhumation l’emportait.
«Bien que le père Lajoie était un jésuite et qu’il aurait été enterré à Saint-Jérôme dans le cours normal des choses, il était considéré comme un membre de la communauté par beaucoup à Kahnawake», indique la congrégation religieuse dans une déclaration.
Elle ajoute vouloir entreprendre rapidement «une consultation concernant les processus qui seront impliqués dans le rapatriement et l’impact que cela pourrait avoir dans la communauté».
Tout en saluant les chefs de Kahnawake qui ont constamment «été respectueux et ont écouté nos positions», les Jésuites du Canada ont tenu à assurer les membres de la communauté catholique de leur soutien. «Nous reconnaissons la profonde douleur et le sentiment de perte que l’exhumation de ses restes causera aux paroissiens de la Mission Saint-François-Xavier», ont-ils déclaré.
Présence jésuite
Associés à la Mission Saint-François-Xavier depuis 1667, les Jésuites y ont été présents jusqu’en 1783. Ce n’est qu’en 1903 qu’ils sont revenus à Kahnawake. Le jésuite Léon Lajoie a été responsable de la Mission Saint-François-Xavier de 1956 à 1990. Il est décédé en 1999 et ses funérailles furent célébrées à Kahnawake. À la demande de la famille du père Lajoie, les dirigeants mohawks de l’époque ont autorisé que son corps soit enseveli sur le terrain même de la mission catholique «en se basant sur sa présence de longue date et son dévouement envers la communauté».
En 1990, le jésuite Louis Cyr remplaça le père Lajoie comme curé de la paroisse. Il demeura 13 ans à ce poste. Il aura été le dernier jésuite à travailler à Kahnawake et dans l’église où se trouve le tombeau de sainte Kateri Tekakwitha.
Immense douleur
Personne à la Mission Saint-François-Xavier n’avait commenté, au moment de publier ces lignes, les résultats du plébiscite de la fin de semaine.
Les Mohawks catholiques ont ressenti «une immense douleur» lorsque des allégations ont été lancées l’an dernier contre le père Lajoie.
Dans une lettre de quatre pages datée du 16 mars 2022, les membres des différents comités de la Mission Saint-François-Xavier reconnaissent d’abord combien ils ont été outrés «par la découverte de restes d’enfants dans des pensionnats indiens gérés par le gouvernement et les Églises».
«Pour certains d’entre nous, survivants des pensionnats et des externats, cette découverte a rouvert de vieilles blessures. Pour d’autres, elle a provoqué un sentiment de honte et remis en question non pas notre foi, mais notre confiance dans le leadership de notre Église», écrivent-ils.
«Alors que nous étions encore sous le choc de ces découvertes, nous avons reçu un deuxième coup dur lorsque les allégations ont été portées contre un pasteur vénéré, alors que beaucoup d’entre nous, notre famille et nos amis ont bénéficié de ses bonnes œuvres. Nous ne disons pas que les allégations sont fausses, mais simplement que nous avons du mal à y croire car nos expériences personnelles et notre connaissance du père Lajoie ne correspondent pas à ce qui est allégué.»
Deux jours après la parution de cette lettre des responsables catholiques, la firme King International Advisory Group, qui a enquêté sur les allégations lancées contre le jésuite Lajoie, a remis son rapport au Conseil mohawk de Kahnawake. Les rédacteurs du rapport indiquent qu’au terme de quatre mois d’enquête et d’auditions de témoins, leurs conclusions «ne soutiennent pas actuellement les allégations d’abus sexuels sur des enfants par le père Léon Lajoie pendant la période de 1956 à 1990».
Menaces et vandalisme
La lettre des membres de la communauté catholique révèle aussi que les membres de la Mission ont reçu des menaces et déplore que des gestes de vandalisme ont été commis contre les bâtiments religieux.
«Depuis la découverte des tombes des enfants, nous avons subi des menaces d’exhumation irrespectueuse, le vandalisme de notre église avec des fenêtres cassées et des graffitis haineux peints sur les portes, les murs et le trottoir, des menaces d’incendie, des menaces de démolition, des menaces de réaménagement de l’église sans aucune considération ni respect pour ceux qui continuent à y pratiquer leur foi».
À la fin de leur lettre, ils indiquent aux résidents de Kahnawake qui iront voter lors du plébiscite de la fin de semaine dernière, «de considérer que les membres de notre congrégation seront traumatisés par l’exhumation si elle a lieu. Ils l’ont déjà été par le vandalisme et les graffitis haineux.»
«Encore plus de traumatismes, écrivent-ils, ne favorisera aucunement la guérison.»
Il se disent néanmoins «très reconnaissants envers la communauté et les dirigeants qui ont montré leur soutien pendant cette période difficile, en cherchant des solutions et en favorisant le maintien de la paix, en particulier ceux qui se sont présentés pour aider à nettoyer la peinture et les graffitis».
«Vous n’avez aucune idée de la façon dont vos actes de gentillesse et votre sollicitude nous ont aidés à traverser une période très difficile.»
«Nous prions pour tous et espérons une résolution pacifique», ont enfin écrit les responsables de la Mission Saint-François-Xavier dans leur lettre du 16 mars 2022.