La campagne Carême de partage que mène chaque année Développement et Paix débute ce mercredi 2 mars. Carl Hétu, le directeur général de cet organisme de solidarité internationale, discute des récentes tensions vécues avec les évêques canadiens.
Présence: Vous arrivez à la tête d’un organisme qui sort tout juste d’une crise importante, la plus grave de son histoire. Quelles leçons retenez-vous de cette crise?
C. H.: Développement et Paix a maintenant 55 ans. Durant ses 30 premières années, l’organisme comptait, parmi ses dirigeants, un directeur dont la tâche principale était d’harmoniser la relation entre l’organisme et les évêques canadiens, de discuter avec eux et de les consulter.
Mais au milieu des années 2000, on a confié cette tâche aux animateurs régionaux de Développement et Paix, alors que les évêques auraient préféré continuer de discuter avec des dirigeants nationaux. Ceux qui ont fondé Développement et Paix en 1967 ont alors eu le sentiment de ne plus être consultés, ni même informés, par exemple, des grandes campagnes que menaient l’organisme. Toutefois, on les rencontrait une fois par année afin qu’ils signent une lettre d’appui à la campagne Carême de partage dans les églises de leur diocèse respectif.
C’est à ce moment-là que débutent, selon ma lecture des événements, les tensions avec certains évêques puis, plus tard, avec toute la Conférence des évêques catholiques du Canada.
Et que comptez-vous faire à ce sujet?
Depuis 25 ans, le taux de renouvellement des évêques est de 80 % et celui du personnel de DP est de 98 %. Donc, de part et d’autre, on ne se souvient plus autant des origines de Développement et Paix et de l’encyclique Populorum progressio dont on tire notre nom. Le risque, avec tant de changements, c’est de perdre l’histoire, la culture, les objectifs et même la mission première de l’organisme.
De plus, le fait d’embaucher des directeurs généraux, au cours des dernières années, qui ne connaissaient rien à l’Église, n’a certainement pas aidé. Ils ont excellé dans le travail auprès d’Affaires mondiales Canada ou encore des grandes agences catholiques internationales comme Caritas. Mais ils ont oublié un élément fondamental: Développement et Paix est une organisation de l’Église catholique au Canada.
Il est temps, à mon avis, de travailler à rebâtir des ponts avec les évêques. Cela n’aurait jamais dû cesser d’être fait. Je l’ai dit au personnel et aux directeurs dès ma première journée de travail: une tâche que je me donne, c’est de rencontrer individuellement, et régulièrement, tous les évêques du Canada.
Votre mandat, comme directeur général, est de cinq années. En 2027, quel rôle jouera Développement et Paix dans l’Église? Dans la société?
Dans l’Église, ce sera une organisation forte qui va recevoir l’appui de toutes les personnes, de tous les âges, qu’ils soient religieux ou laïcs. De tous ceux et celles qui veulent bâtir un monde meilleur, un monde plus juste. Dans cinq ans, on va tous les réunir.
Je crois que Développement et Paix a aussi un rôle prophétique à jouer. Longtemps, l’organisme a été à l’avant-plan, parfois même à l’origine, de grands débats de société.
Quand on s’est mis, comme société, à parler d’égalité des femmes, Développement et Paix appuyait déjà bien des projets en ce sens dans les pays du Sud. Quand le gouvernement canadien s’est mis à dénoncer l’apartheid en Afrique du Sud, nos membres utilisaient ce terme depuis quelques années déjà durant leurs campagnes dans les églises. Même chose pour la responsabilité sociale des grandes entreprises ou encore des compagnies minières.
Être prophétique, dans la société, c’est annoncer un avenir meilleur mais c’est aussi dénoncer les injustices et les souffrances que créent ces injustices. Avec nos partenaires du Sud, c’est chercher les moyens de créer un monde plus juste. Ce rôle-là est à la mesure de Développement et Paix et de ses membres, dès aujourd’hui.