La Jeunesse ouvrière catholique, la JOC, pourrait bien rendre son dernier soupir dans quelques jours. La fondation qui gère et distribue les avoirs financiers de ce mouvement d’Action catholique sera dissoute samedi prochain lors d’une assemblée générale qui se tiendra au Centre St-Pierre de Montréal. Clin d’œil de l’histoire, cette rencontre se déroulera à deux pas de la salle paroissiale où, il y a 90 ans, l’oblat Henri Roy réunissait la toute première équipe de jocistes masculins québécois.
Samedi, peu après le repas du midi, les participants à l’assemblée générale de la Fondation de la JOC, la plupart d’ex-jocistes qui ont joué des rôles auprès de la JOC du Québec et même auprès de la JOC internationale, vont examiner une résolution de dissolution de leur corporation. Ils adopteront aussi deux ententes afin de disposer des actifs de leur fondation et en sauront davantage sur la vente du siège social de la JOC.
L’an dernier, les membres présents à l’assemblée générale de la Fondation de la JOC ont dû se rendre à l’évidence. La JOC nationale est dorénavant inactive, sa section de Montréal est complètement fermée, tandis que la JOC de Québec ne fonctionne plus. «La raison d’être de la Fondation est de plus en plus fragilisée puisque nous avons comme mandat premier d’appuyer la JOC du Québec», a-t-on reconnu, tout en rappelant qu’une fondation est dans l’obligation de remettre un pourcentage des dons qu’elle reçoit du public.
Pour Jean-Paul Saint-Germain, l’actuel président de la Fondation de la JOC, il ne fait pas de doute que la dissolution sera entérinée samedi. Tout comme les ententes de cession des actifs de la JOC que son équipe et lui ont préparé avec la Fondation Léa-Roback et l’organisme Mission inclusion. «On va présenter aux membres de l’assemblée générale les termes de ces deux contrats», dit-il.
À pareille date l’an dernier, les coffres de la fondation contenaient plus 900 000 $. «Avec le marché actuel, cette somme a baissé», indique toutefois l’actuel président de la Fondation de la JOC, qui, il y a trente ans, était nommé coordonnateur du mouvement en Amérique latine.
Par ailleurs, le bâtiment que possède la JOC, rue Monsabré à Montréal, n’est toujours pas vendu. Son évaluation municipale atteint aujourd’hui 483 300 $. Trois ans plus tôt, l’immeuble situé au 3119, rue Monsabré affichait une valeur de 350 000 $.
Jean-Paul Saint-Germain est convaincu que la JOC pourrait obtenir une somme beaucoup plus élevée si cette résidence était cédée à des individus ou à des promoteurs privés. «Mais ce n’est pas notre objectif. On souhaite que cette maison demeure dans les mains du milieu communautaire», dit-il.
Deux fondations
Si le protocole d’entente est approuvé samedi, Jean-Paul Saint-Germain explique que la Fondation Léa-Roback, qui offre une aide financière à des femmes économiquement défavorisées et socialement engagées qui désirent poursuivre leurs études, recevra une somme de 100 000 $ dès la dissolution de la JOC. Chaque année, «et jusqu’à épuisement de cette somme et des intérêts générés», cette fondation remettra des bourses d’étude, bien identifiées au mouvement d’Action catholique, à des femmes de 16 à 30 ans en situation financière précaire.
C’est l’organisme Mission inclusion, autrefois L’œuvre Léger, qui recevra la plus large part des actifs de la JOC. Il s’engage à mettre sur pied et à développer un fonds de dotation appelé Fonds JOC dont l’objectif sera «de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail des jeunes du Québec».
Les organismes communautaires du Québec pourront y soumettre des demandes de financement afin d’appuyer des initiatives qui correspondent aux valeurs de la JOC, soit la justice sociale, la dignité humaine, la solidarité et la «prise en charge individuelle et collective pour la construction d’une meilleure société», lit-on dans le protocole d’entente qui sera voté samedi. La Fondation de la JOC veut que le fonds géré par Mission inclusion priorise des jeunes de 16 à 30 ans, qui sont «vulnérables et marginalisés» et qui «s’organisent pour améliorer leurs conditions de vie ou de travail précaires».
90 ans au Québec
La JOC a été fondée en 1925 par Joseph Léon Cardijn, un prêtre belge. Pour ce prêtre qui sera élevé au rang de cardinal, «la vie d’un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde».
Au Québec, c’est l’oblat Henri Roy qui, en 1931, met sur pied la première équipe jociste féminine (la JOCF) à la paroisse Saint-Alphonse d’Youville. La première équipe masculine sera créée, la même année, dans la paroisse Saint-Pierre-Apôtre de Montréal. Jusqu’en 1933, la JOC masculine «doit se contenter pour son secrétariat, des chambres des dirigeants généraux ou des bureaux du presbytère de Saint-Pierre», raconte-t-il. Le Centre St-Pierre, où se tient l’assemblée de dissolution de la Fondation de la JOC, est situé à deux pas de l’église Saint-Pierre-Apôtre et de son presbytère. La congrégation des Oblats de Marie-Immaculée y est toujours présente.
En 1934, le père Roy, le fondateur devenu aumônier général de la JOC, publie aux Éditions jocistes le livre Un problème et une solution où il explique «la raison d’être, l’organisation et la méthode» de ce mouvement. La JOC veillera à prendre la «défense des intérêts spéciaux des jeunes ouvriers et des jeunes ouvrières» et à les représenter «auprès des autorités publiques, des patrons et des organisations ouvrières». C’est aussi dans ce bouquin qu’il présente la célèbre méthode jociste du Voir, Juger, Agir.
«Pour savoir comment transformer leur milieu, les chefs doivent le connaître. L’enquête jociste leur apprend à VOIR tout ce qui se passe chez les jeunes ouvriers; à JUGER en chrétiens les situations qu’ils ont trouvées; et surtout à AGIR en vue de porter remède aux maux de la jeunesse ouvrière et d’améliorer sa situation», écrit-il.
Le nouveau mouvement croît rapidement. En août 1933, la JOCF comprend 40 «sections régulières» et regroupe plus de 2000 jeunes ouvrières. La JOC masculine compte 17 sections et 700 jeunes ouvriers. De plus, les douze premiers numéros du mensuel La jeunesse ouvrière sont tirés à 80 000 exemplaires, se réjouit le père Roy. «Rédigé et vendu par des jocistes, après une année d’existence, le succès de cette publication est assuré», écrit-il en 1934.
Le 14 septembre 1952, 20 000 jeunes travailleurs célèbrent, au Cap-de-la-Madeleine, le 20e anniversaire de la JOC. «Les 72 000 jocistes qui, depuis 1932, ont signé leur adhésion dans le mouvement, ne veulent pas que cet anniversaire passe Inaperçu». Angèle Chagnon est, à ce moment, présidente nationale de la JOCF. En 2017, Angèle Chagnon Legris a présidé la campagne de financement de la Fondation de la JOC. Samedi, au Centre St-Pierre, elle témoignera de l’importance de la JOC dans sa vie.