Le 19 janvier, devant une trentaine d’églises du Québec, on récitera publiquement le chapelet en soirée afin de «mettre fin à une des crises sociétales les plus graves de notre histoire», annonce l’organisme Campagne Québec Vie. Des archidiocèses préfèrent toutefois conserver une distance critique envers l’initiative.
Ceux et celles qui en ont assez «des mesures liberticides, des mensonges et des contradictions de ceux qui nous gouvernent» et même «de voir nos enfants masqués à l’école et même dehors, à la récré» sont invités à venir prier afin que «le démon soit chassé de l’espace public et que notre Reine [ndlr: Marie, la mère de Jésus] assure notre défense et le rétablissement de l’ordre», a écrit Georges Buscemi, le président de Campagne Québec Vie, le lobby qui parraine cette initiative appelée Le Québec prie.
Reprenant les mots d’ordre des initiateurs de cette «croisade du rosaire» d’abord lancée en Autriche en novembre 2021, il annonce que dorénavant, dans différents pays du monde, «les catholiques se retrouvent déjà en plus d’un millier d’endroits chaque mercredi à 18 h pour réciter le chapelet en public».
Trentaine d’églises
Au Québec, selon les données inscrites dans une carte interactive mise à jour par Georges Buscemi, une récitation publique du chapelet sera tenue ce mercredi soir devant une trentaine d’églises québécoises, dont le sanctuaire Notre-Dame du Cap, la cathédrale Saint-Michel de Sherbrooke et l’église Saint-Émile de Montréal, à deux pas du siège de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.
D’autres groupes préfèrent réciter le chapelet la fin de semaine. C’est le cas des catholiques qui se réunissent devant la cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal, depuis le 26 décembre 2021, les dimanches matins à 11 h.
«En réponse à la passe (sic) sanitaire obligatoire dans les églises et à la fermeture des églises, un groupe de catholiques pro-vie a décidé d’agir avec l’arme puissante du rosaire», indique Campagne Québec Vie qui a publié, sur sa chaîne YouTube, une vidéo montant une dizaine de personnes agenouillées, chapelet à la main, devant la cathédrale montréalaise.
«Face à l’injustice, face à la privation des sacrements, face au besoin de rendre gloire à Dieu, ils demandent instamment l’intercession de la Vierge Marie pour que les autorités ouvrent les églises», a-t-on aussi inscrit dans la fiche de présentation de cette vidéo de trois minutes. Le groupe réclame de plus «la disparition du passeport sanitaire, la réparation de nos péchés et la persévérance finale».
Une «pure action de prière»
Georges Buscemi a réagi par courriel à notre demande d’informations. Il répond que ces prières publiques sont des activités essentiellement spirituelles, une «invitation à réciter le chapelet en commun et non une invitation à des manifestations ou des marches de protestation».
«Sans exception et de manière exclusive, il s’agit d’une pure action de prière», ajoute la charte de l’initiative Le Québec prie. «En aucun cas, ce n’est une manifestation en dehors du but déclaré de la prière du chapelet. Par conséquent, l’initiative Le Québec prie se distancie par avance et expressément de toutes les actions en dehors de l’objectif de prière susmentionné, en particulier l’activisme politique.»
Georges Buscemi n’a pas souhaité expliquer pourquoi, dans l’invitation qu’il a remise à ses sympathisants, il évoque un ras-le-bol des «mesures liberticides» ainsi que «des mensonges et des contradictions de ceux qui nous gouvernent».
«Je n’ai pas d’autre commentaire pour vous aujourd’hui, concernant cette initiative», a-t-il répondu. Dans sa réponse électronique, il a inséré une vidéo intitulée «Y a-t-il un lien entre certains vaccins et l’avortement?».
Dans un autre document, aussi remis par M. Buscemi en réponse aux questions du journaliste, on présente le but et la mission de Le Québec prie. On y indique que la recherche d’une couverture médiatique «n’est pas un objectif de l’initiative» qui «reste exclusivement la prière commune du chapelet en public».
Enfin, à l’intention des médias qui entendent couvrir cet événement hebdomadaire, Georges Buscemi lance cet avertissement: «les journalistes et reporters, les revues, journaux et leur propriétaire s’engagent à soumettre le contenu des publications à l’initiative Le Québec prie en temps utile avant la publication pour autorisation et approbation». Il s’agit d’une demande qui va à l’encontre des codes de déontologie journalistique et à laquelle aucun média d’information sérieux ne se plie. «Les journalistes ne soumettent pas leurs reportages à leurs sources avant de les publier ou de les diffuser», stipule clairement le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Des archidiocèses gardent leurs distances
L’archidiocèse de Montréal est au courant de la tenue de ces activités devant des églises paroissiales de son territoire mais ses autorités n’ont pas souhaité s’y associer.
«Les lieux de culte sont un service essentiel», a d’abord rappelé Mgr Christian Lépine.
«En ce temps de pandémie, nous apprenons à nous battre ensemble contre la COVID 19. En tant que croyants, la prière est notre premier recours», a ajouté l’archevêque. «Sans appuyer un groupe particulier, nous encourageons les personnes à prier à domicile, en famille, en ligne, dans l’église quand c’est possible ou éventuellement à l’extérieur, pour que Dieu nous protège de la maladie et nous guide sur des chemins de solidarité».
L’archidiocèse de Sherbrooke a eu une réaction semblable. «Nous sommes pour la prière», a répondu Mgr Luc Cyr. «Et nous sommes aussi pour le vaccin». L’archevêque de Sherbrooke a indiqué qu’il ne participera pas, ce soir, à la récitation du chapelet devant sa cathédrale. «Ni aucun autre représentant de l’archevêché», a-t-on précisé.
Dans l’archidiocèse de Québec, où se déroulera ce soir au moins huit récitations publiques du chapelet, on dit suivre l’initiative de près.
«Se rassembler pour prier est magnifique et puissant. Mais dans ce cas-ci, qui donc fait cette invitation? À prier pour demander quoi?», demande Valérie Roberge-Dion, l’attaché de presse du cardinal Gérald Lacroix.
«Depuis que Campagne Québec Vie s’est désolidarisée du pape, notre diocèse a retiré son soutien à cet organisme», ajoute-t-elle.
Elle déplore que, sur le site Web de l’organisme, on trouve des publications «qui font la promotion de théories du complot, incitent à rejeter le vaccin et moussent la colère ambiante».
«Nous nous dissocions d’une telle approche, dont les fruits réels pour l’unité de nos communautés de foi nous questionnent.»
La directrice des communications de l’archidiocèse reconnaît que «dans l’Église, il y a de la place pour des spiritualités très variées et, d’ailleurs, vivre ensemble comme frères et sœurs a toujours été la fois une richesse et un défi».
«Dans le cas d’une crise comme celle que l’on traverse, cette communion est particulièrement éprouvée», observe-t-elle aussi, y compris à l’intérieur des diverses communautés paroissiales. «La détérioration généralisée du climat social nous atteint aussi. Nous tentons d’encourager les gens à ne pas être dans la radicalisation, la polarisation, le mépris des personnes aux opinions différentes.»