Dans l’accablant rapport de la Commission d’étude mandatée par L’Arche Internationale afin de documenter «les mécanismes de l’emprise psychologique et des abus sexuels» dont ont été accusés ses fondateurs, on souligne que Jean Vanier a connu, de son vivant, rien de moins qu’un «processus de canonisation médiatique».
Il s’est mérité rapidement, écrit-on, «une réputation de sainteté» sur tous les continents et dans un grand nombre de médias.
On cite ainsi des articles, des reportages et des émissions de télé qui, surtout à partir des années 1980, ont multiplié les qualificatifs pour présenter l’œuvre majeure qu’il a cofondée – L’Arche – ainsi que son histoire personnelle.
Le «sauveur des marginaux», selon la formule qu’utilise le New York Times lors de son décès en 2019, sera notamment invité à l’émission Apostrophes qu’anime Bernard Pivot. Là, il fera entendre «la voix des pauvres».
Un prophète
En 1991, notent les auteurs du rapport, le journal La Presse attribue à Jean Vanier le titre de «Personnalité de l’année» ainsi que celui de prophète.
Dans un article qui fait la une de son édition du lundi 21 octobre 1991, le quotidien montréalais raconte que lors d’un gala, tenu la veille au Château Champlain, on a honoré «un sportif, un prêtre, une comédienne, un industriel et un… prophète».
C’est au journaliste Jules Béliveau, chroniqueur religieux à La Presse durant un quart de siècle, que l’on avait confié la rédaction de ce portrait, «un peu dithyrambique», admet-il aujourd’hui.
Maintenant à la retraite, Jules Béliveau s’est d’abord montré surpris d’apprendre que son nom se retrouve à la page 188 du rapport consacré à Jean Vanier et au père Thomas Philippe.
Se souvient-il d’avoir écrit, il y a plus de 30 ans, cet article intitulé «Un prophète des temps modernes»?
Bien sûr, lance-t-il, sans aucune hésitation.
C’est même encore tout frais dans sa mémoire. À preuve, cette anecdote qu’il nous raconte. Juste avant l’arrivée de Jean Vanier au Château Champlain, ce féru d’histoire se rappelle avoir discuté ferme avec l’ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau, et l’ex-ministre Marc Lalonde. Le sujet débattu: le grand schisme de 1054 qui sépara les Églises d’Occident et d’Orient!
«Puis, arrive Jean Vanier.» L’homme ne porte pas des vêtements de gala, ce qui fait sourciller les organisateurs. «Un simple coupe-vent», se souvient Jules Béliveau. De plus, des résidents de maisons de L’Arche l’accompagnent et Jean Vanier insiste pour qu’ils prennent place aux diverses tables qu’occuperont bientôt les chics invités au Gala Excellence 1991 de La Presse.
Admiration et déception
Le journaliste, aujourd’hui âgé de 80 ans et retraité, reconnaît volontiers son admiration, en 1991, pour Jean Vanier et ce qu’il a accompli depuis 1964 auprès des personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Les premiers mots de son article du 21 octobre 1991 en témoignent.
«On le dit de plus en plus souvent: Jean Vanier est un prophète des temps modernes. Comme mère Teresa, comme dom Helder Camara, comme Martin Luther King, Jean Vanier a délaissé le confort des idées reçues, de la sécurité, des richesses matérielles et de l’approbation des nantis de ce monde pour s’attacher à l’essentiel: l’amour des plus petits et, à travers eux, l’amour de Dieu.»
En février 2020, Jules Béliveau était «bouleversé, déçu et surtout choqué» lorsqu’il a appris, par les médias, que Jean Vanier avait entretenu des relations sexuelles «manipulatrices» avec au moins six femmes.
Le rapport de la Commission d’étude a aussi révélé que Jean Vanier a entrepris, au milieu des années 1950, des démarches afin d’être ordonné prêtre et d’être incardiné dans l’archidiocèse de Québec. Le Saint-Office (ancien nom du dicastère pour la doctrine de la foi) s’y est vivement opposé.
«C’est bien la première fois que j’entends parler de ça», dit Jules Béliveau.