«Aussi longtemps que les femmes, qui sont elles-mêmes engagées sur le terrain de la pastorale avec un mandat de leur évêque, ne se rassembleront pas entre elles pour discuter de l’exercice de leurs fonctions, la question des femmes en Église n’avancera pas.»
Ces mots, prononcés par la théologienne Élisabeth J. Lacelle en 1981, Gisèle Turcot, l’actuelle supérieure de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil, s’en souvient encore par cœur. Elle les cite de nouveau alors que le réseau Femmes et Ministères, dont elle est une des fondatrices, célèbre ces jours-ci son 40e anniversaire.
«On voulait un réseau autonome. C’était presque clandestin», dit-elle, esquissant un sourire. «Il était important de se donner un espace de parole ainsi qu’un lieu pour démystifier l’institution où toutes nous travaillions», dit la religieuse qui était alors secrétaire générale de l’Assemblée des évêques du Québec, la toute première femme – et la seule à ce jour – à occuper ce poste.
«À l’époque, l’Église ne parlait pas de ministères quand il était question des mandats donnés aux agentes de pastorale. Nous, on a voulu dès le départ s’approprier ce terme, davantage utilisé en milieu anglophone. On souhaitait travailler à la reconnaissance des différents ministères exercés de facto par des femmes», ajoute-t-elle.
Le réseau s’est fait connaître par ses déclarations sur l’accès des femmes aux ministères ordonnés. «On a toujours voulu en venir à une véritable égalité hommes-femmes dans l’Église. Pour qu’il n’y ait pas de ministères qui soient réservés uniquement aux hommes et d’autres aux femmes», explique Marie Bergeron, membre du conseil d’administration de Femmes et Ministères.
Détentrice d’une maîtrise en théologie, chargée de cours durant plusieurs années puis engagée dans le mouvement syndical, Marie Bergeron rappelle qu’en 1994 le pape Jean-Paul II a déclaré que cette question était close, que les femmes n’auraient pas accès aux ministères ordonnés. «Une position définitive», dit-elle en hochant la tête.
Espoir en baisse
Après la brève mais fort directe lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis sur «l’ordination sacerdotale uniquement réservée aux hommes», le travail de Femmes et Ministères «est devenu plus ardu», reconnaît-elle. «On a senti du découragement dans nos rangs» alors qu’entre le concile Vatican II et 1994, «il y avait de l’espoir, des signes positifs, des avancées, et des évêques qui nous appuyaient».
Quarante ans après la fondation de Femmes et Ministères, les signes d’espoir s’amenuisent encore, reconnaissent Gisèle Turcot et Marie Bergeron.
Un exemple récent? Les deux femmes ont parcouru les rapports diocésains rédigés en vue du synode sur la synodalité de 2023. Elles ont aussi lu avec attention les synthèses québécoise et canadienne préparées par les évêques. Dans les textes diocésains, «les gens demandent une place pour les femmes dans tous les ministères ordonnés», a bien noté Marie Bergeron, dont le mémoire de maîtrise portait sur l’expérience et le statut des religieuses animatrices de paroisses au diocèse d’Amos.
«Mais vous avez lu la synthèse canadienne?», lance la religieuse Gisèle Turcot. «C’est au paragraphe 32» qu’on trouve une brève mention sur la situation des femmes dans l’Église. «Cette phrase-là, elle a été ajoutée à la fin d’un paragraphe qui traite entièrement… des abus sexuels. C’est la seule place qu’on a trouvée pour dire ceci», dit-elle avant d’en faire la lecture.
«Pour beaucoup, le statu quo est de plus en plus difficile à justifier par rapport à la condition féminine dans les postes de leadership». Elle prend une pause puis poursuit sa lecture. «On souhaite une autorité de service, partagée avec des laïques hommes et femmes, sans préjudice au caractère sacramentel du ministère ordonné dit presbytéral ou épiscopal.»
«C’est la doctrine qu’on maintient ici», réagit-elle, «en tentant quand même d’exprimer» ce que les personnes consultées ont déclaré aux rédacteurs et rédactrices des synthèses diocésaines. «Mais on émet une opinion d’autorité tout de suite après avoir donné le point de vue des gens. C’est malhabile comme rédaction et c’est difficilement acceptable comme position», dit la religieuse qui a obtenu en 2020 un doctorat honoris causa en sciences des religions de l’Université Laval.
«Cela ne reflète vraiment pas les opinions qui ont émergé de l’Église du Québec et de ses diocèses», ajoute Marie Bergeron.
«Comment les délégués canadiens au synode vont-ils traiter cette question?», s’inquiète aujourd’hui Gisèle Turcot. «Il faudra s’en préoccuper», ajoute-t-elle avec détermination. Sans quoi, «la question des femmes en Église n’avancera pas», répèterait sans doute Élisabeth J. Lacelle (1929-2016).