La démarche est pour le moins inusitée. Voici qu’un prêtre avantageusement connu dans l’archidiocèse de Québec mais aussi dans les réseaux sociaux vient d’annoncer son départ de la prêtrise en remettant aux médias un communiqué de presse «à publier immédiatement».
«Je quitte le ministère sacerdotal pour continuer ma route comme laïc», explique Dominic LeRouzès, responsable de la pastorale jeunesse à l’archidiocèse de Québec.
Famille Marie-Jeunesse
Ex-membre de la Famille Marie-Jeunesse (FMJ), où il s’est engagé durant 24 ans, il explique d’abord dans son communiqué de deux pages que des «circonstances» et des «impasses» – qu’il ne précise pas – l’ont «forcé à aller revisiter le contexte dans lequel j’ai pris la décision de devenir prêtre».
«En 1995, alors que j’avais 21 ans, j’étais dans une communauté nouvelle en pleine effervescence dans l’Église et beaucoup de jeunes répondaient à l’appel de donner toute leur vie à Dieu dans la vie consacrée et le sacerdoce», explique l’ex-prêtre.
Nombre de ces jeunes qu’il a côtoyés au sein de la FMJ «ont aujourd’hui quitté cet état de vie», écrit Dominic LeRouzès. «Cette communauté, telle qu’elle était à l’époque, n’avait pas ce qu’il fallait pour accompagner ses membres dans un vrai discernement vocationnel.»
«Nous avons été nombreux à embrasser la vie consacrée à la manière d’un jeune qui paie pour la première fois quelque chose de grand prix avec une carte de crédit. Imperceptible sur le moment, le coût se fait sentir dans la durée.»
«Heureusement, les choses ont changé aujourd’hui», dit-il.
Assurant qu’il a tout fait «pour demeurer prêtre», il explique qu’une «relecture de vie» ainsi qu’un accompagnement professionnel l’ont «amené à voir la vérité en face».
Dans son cas, reconnaît-il, «il n’y a pas eu un véritable discernement vocationnel et, depuis lors, je traîne un défaut de liberté aux origines de ma vocation. Les qualités que j’avais pour devenir prêtre ont semblé suffisantes pour ceux qui devaient juger de mon appel. «C’est donc dans un effet d’entraînement, mettant de côté ce que je voulais vraiment, que je me suis engagé sur le chemin du sacerdoce, sans mesurer le sérieux qu’implique embrasser le célibat pour le Royaume.»
Il dit, avec douleur, avoir «porté cette lacune des années durant, dans le silence de mon cœur, croyant qu’elle était due bien davantage à un manque de conversion de ma part qu’à un manque d’expérience des personnes qui m’accompagnaient. Après vingt ans de ministère, je réalise que j’ai été personnellement hypothéqué par cette défaillance sur le plan de la liberté».
Son ordination
Le lundi 26 mai 2003, le quotidien La Tribune de Sherbrooke affiche en première page une large photo de quatre hommes, tous vêtus d’une aube blanche, couchés au sol, face contre terre. Dominic LeRouzès est l’un ces nouveaux prêtres qui viennent d’être ordonnés par l’archevêque de Sherbrooke André Gaumond.
«Les gens étaient habitués à côtoyer de vieux prêtres. On sent enfin une brisure dans cette continuité», jubile l’archevêque qui ajoute que la dernière ordination d’un prêtre diocésain avait eu lieu cinq ans plus tôt. Pour l’ordination «d’autant de prêtres du même coup», il faut retourner aux années 1960, ajoute-t-il.
«C’est difficile de mettre des mots sur un tel événement», avait indiqué Dominic LeRouzès, alors âgé de 29 ans, à la journaliste du quotidien sherbrookois peu après son ordination sacerdotale. «C’est quelque chose qu’on attend depuis sept ans. Imaginez un raz-de-marée haut comme la cathédrale. C’est la présence de Dieu qui se répand sur vous.»
Un proche du cardinal Ouellet
L’abbé Dominic LeRouzès a été, un temps, secrétaire particulier du cardinal Marc Ouellet, tant à Québec, lorsqu’il en était l’archevêque, qu’au Vatican, lorsqu’il est devenu préfet de la Congrégation pour les évêques, en 2010.
À Rome, l’abbé a étudié à l’Université pontificale grégorienne. Il deviendra docteur en théologie. Sa thèse est publiée en 2018 par les éditions Parole et Silence et porte le titre de L’altérité constitutive de l’intersubjectivité chez Emmanuel Lévinas et Hans Urs von Balthasar. Vers un fondement trinitaire. C’est le cardinal Marc Ouellet qui signe la préface de son livre. Lui aussi est un spécialiste de la pensée du théologien catholique Hans Urs von Balthasar.
De retour dans l’archidiocèse de Québec, on confie à Dominic LeRouzès une tâche spéciale. Dès le début de la pandémie, alors que les églises paroissiales sont toutes fermées, on le nomme coordonnateur d’une opération appelée «Couronne de vie». Du lundi au vendredi, quatre fois par jour, celui que l’on présente comme un prêtre youtubeur intervient à la webtélé de l’archidiocèse. Il y offre «plusieurs petits rendez-vous quotidiens en direct», dont la messe, des brèves d’information, des moments de réflexion ainsi que la prière du soir.
«C’est notre façon de nous serrer les coudes et de prier ensemble, dans les circonstances», dit-il. Déposées sur YouTube, ses vidéos sont populaires. Elles sont regardées quotidiennement, bien au-delà de l’archidiocèse de Québec.
Coïncidence
C’est en juin 2022 que l’abbé LeRouzès annonce à ses supérieurs qu’il prend un temps de réflexion. Mais ce n’est qu’en août 2022 qu’il en informe ses amis via sa page Facebook, aujourd’hui fermée. Sa note est parue le 15 août 2022.
C’est précisément le lendemain de son annonce que les médias du monde entier ont révélé que le cardinal Marc Ouellet était nommé dans une longue liste d’agresseurs déposée en appui à l’action collective contre l’archidiocèse de Québec. Ce jour-là, Présence a demandé à celui qui fut un temps le secrétaire particulier du cardinal s’il y avait un lien entre son retrait de la vie diocésaine et la nouvelle qui éclaboussait son mentor. «C’est vraiment juste une coïncidence, aucun lien», avait-il brièvement répondu, trois jours plus tard.
En 2021, Présence a appris que l’abbé LeRouzès a aidé, à distance, le jésuite Jacques Servais, celui qui a mené l’enquête sur les allégations contre le cardinal Ouellet. Ce religieux est aussi un spécialiste de la pensée de Hans Urs von Balthasar. On avait alors demandé à l’évêque auxiliaire de Québec, Marc Pelchat, de confirmer cette information.
«Nous n’avons pas connaissance d’un mandat donné à l’abbé Dominic LeRouzès pour collaborer à une enquête sur un cas d’abus sexuel, de la part de quelque instance que ce soit, du Diocèse de Québec ou d’ailleurs. Nous ne connaissons pas le père jésuite Jacques Servais», avait-il indiqué.
Dominic LeRouzès n’a pas répondu, aujourd’hui, à notre demande de commentaires sur son départ de la vie sacerdotale.
«Par respect pour le cheminement personnel de Dominic, que nous respectons, nous ne souhaitons pas commenter le processus de retour à l’état laïque qu’il a amorcé; il lui appartient de commenter davantage s’il le souhaite», a indiqué en fin de journée l’archidiocèse de Québec.
On précise toutefois que l’abbé LeRouzès a été incardiné dans le diocèse de Québec en 2021 et qu’il était depuis responsable de la pastorale jeunesse et de la pastorale vocationnelle. Il était aussi prêtre associé, jusqu’en juin, au sein de l’unité missionnaire Louis-Hébert, plus particulièrement dans la paroisse Notre-Dame-de-Foy de Québec. Cette paroisse a publié à la une de son site Web la lettre de son ancien pasteur.