Depuis des décennies, les autorités de l’arrondissement Outremont font face à une augmentation du nombre de synagogues, dont certaines ne respectent pas les règlements de zonage en vigueur. Pour l’aider à mieux comprendre l’enjeu dans ce dossier, l’ancienne administration a demandé au professeur Frédérick Dejean, de l’Université du Québec à Montréal, de réaliser une étude sur la question.
L’enquête de Frédéric Dejean, docteur en urbanisme et professeur du Département des études religieuses de l’UQAM, révèle que les juifs hassidiques d’Outremont et du Mile End sont à l’étroit dans les synagogues existantes.
«Il y a une croissance démographique», avance-t-il.
Toutefois, le sentiment d’étroitesse qu’éprouvent les membres de ces groupes religieux ne vient pas seulement de leur augmentation démographique, mais également de «la fragmentation institutionnelle, ou intracommunautaire».
Vu de l’extérieur, explique le professeur, pour quelqu’un qui ne connaît rien à la réalité hassidique, il n’y a qu’une communauté. «Alors que vue de l’intérieur, il y a des tensions, des divisions. Ils ne sont pas tous copains. Il y a même des divisions dans les divisions.»
Pour Frédéric Dejean «cette fragmentation a un impact important, car des communautés hassidiques, même très petites, veulent avoir leurs synagogues».
Définir un lieu de culte
Par ailleurs, les communautés hassidiques doivent également composer avec une certaine définition des lieux de culte en vigueur chez bien des fonctionnaires montréalais.
«La conception d’un lieu de culte en urbanisme est quasiment calquée sur ce qu’est une église. Les nouvelles réglementations [en matière de zonage et d’urbanisme] ne tiennent pas compte des nouvelles réalités du paysage religieux et des pratiques religieuses qui jusqu’alors n’existaient pas.»
Frédéric Dejean souligne que «les représentants rencontrés insistent sur le fait que la partie cultuelle n’occupe qu’une très petite place dans tout ce qui se passe dans une synagogue. C’est plus qu’un lieu de culte. C’est un lieu d’étude et un lieu de socialisation.»
Les communautés hassidiques, comme d’autres groupes religieux, doivent également composer avec un nouveau zonage qui limite les endroits où des lieux de cultes peuvent être érigés.
«Il y a un principe dans le zonage à Montréal. Les lieux de culte, on les privilégie dans des artères commerciales ou dans des zones de petites ou moyennes industries. Surtout pas dans les quartiers résidentiels.»
Zones grises
Devant ces obstacles, certains groupes religieux vont jouer sur les zones grises.
«Dans le cas des hassidiques, c’est très clair. Nous constatons qu’il y a des communautés hassidiques qui possèdent des permis d’occupation pour du social, du communautaire, pour de l’éducation, pour des lieux de réunions, mais pas forcément religieux.»
Ce comportement soulève l’ire de citoyens d’Outremont, surtout ceux qui vivent à proximité des synagogues. Des plaintes pour non-respects de certains règlements, comme ceux régissant le bruit et les déchets, sont fréquemment faites à l’arrondissement d’Outremont.
Le professeur Dejean souligne que pour faire avancer leur point de vue au sujet des synagogues, les leaders hassidiques n’hésitent pas à user de la question de la liberté de religion.
«Il ne faut pas être naïf, ils savent très bien comment faire. C’est un argument souvent utilisé. Ils savent que devant les tribunaux, c’est payant, pour le dire vite.»
Dans son étude, Frédéric Dejean, rappelle cependant que des juges ont souligné que «la liberté de religion n’est jamais absolue. Elle est toujours à apprécier dans un contexte particulier.»
Relations difficiles
En entrevue, le professeur Frédéric Dejean a reconnu que les tensions existantes entre les citoyens hassidiques et non hassidiques ne sont pas occasionnées que par la question des synagogues. L’aspect insulaire de leur mode de vie en agace plus d’un à Outremont. Sans être totalement fermés aux autres citoyens, les relations sont minimes.
Le professeur croit que les deux parties doivent faire des efforts afin de mieux se comprendre. Frédéric Dejean croit que la nouvelle génération de leaders hassidiques est prête à nouer des contacts plus étroits avec les citoyens non hassidiques.
Malgré tout, une question demeure: l’avenir d’Outremont. Dans ses discussions avec les critiques, le chercheur a décelé un sous-texte dans leur propos. Ils ont «comme un idéal de ce que devrait être Outremont et que celui-ci ne devrait pas évoluer alors que les choses évoluent.
«Dans les débats autour de la gentrification, il a cette idée à peu près similaire qu’un quartier ne doit pas évoluer. En même temps, il y a des gens qui achètent des immeubles, des duplex, des triplex. Dans le cas d’Outremont, ce sont des communautés hassidiques qui achètent ces immeubles. Ils y habitent, c’est comme cela.»