Lundi matin, un huissier a frappé à la porte des quelque 200 logements de la Résidence Mont-Carmel, une résidence privée pour aînés (RPA) du Centre-Sud de Montréal. Suzanne Loiselle, une religieuse auxiliatrice qui y habite depuis 2018, cinq autres de ses consœurs, et tous les résidents ont reçu de la main de ce huissier un avis d’éviction.
«Nous devons vous informer que la Résidence Mont-Carmel fera l’objet d’un changement de vocation à partir du 31 juillet 2022», indique le document reçu du propriétaire, le Groupe LRM, une firme qui gère quatre autres résidences pour aînés. L’entreprise a fait l’acquisition de la Résidence Mont-Carmel en décembre 2021.
«Le Mont-Carmel deviendra un complexe multigénérationnel et ne sera plus une résidence pour aînés», ont appris les résidents dans le document judiciaire. Les services habituellement associés aux RPA comme la cafétéria, les salles communes, la présence de personnel infirmier et le bouton d’alerte en cas d’urgence, ne seront donc plus disponibles.
Le nouveau propriétaire, contraint par la loi d’émettre un tel avis d’éviction, souhaite néanmoins que les résidents actuels signent un nouveau bail «au loyer actuel, majoré de 3 %», une somme, estime-t-il, largement inférieure aux loyers demandés dans les alentours. S’ils entendent malgré tout quitter l’établissement, les résidents se verront offrir trois mois de loyer ainsi qu’une aide à la relocalisation.
Toute la communauté
Il ne reste que sept religieuses auxiliatrices au Québec. Six d’entre elles habitent dans un logement de la Résidence Mont-Carmel. La congrégation loue aujourd’hui un septième logement, qui tient lieu de salle de rencontre communautaire et de secrétariat général.
«Nous avons ici chacune nos espaces mais aussi la possibilité de nous retrouver ensemble, en communauté», explique Suzanne Loiselle, qui est la répondante internationale de cette congrégation, fondée en France en 1856. La congrégation est présente au Québec depuis 1949 et ses membres sont connues pour leur enracinement dans des quartiers populaires et leur engagement dans de nombreuses luttes sociales et féministes.
«C’était notre but en venant ici. Continuer une vie communautaire, dans un lieu non institutionnel, et au cœur d’un quartier populaire», ajoute celle qui fut la directrice générale de l’Entraide missionnaire durant trente ans.
La congrégation ne s’est pas réunie depuis la réception de l’avis d’éviction. «On aura une décision à prendre. Veut-on demeurer ici sans services infirmiers? Voudra-t-on vivre au milieu d’un chantier de construction?»
Pour le moment, Suzanne Loiselle se préoccupe surtout de ses voisins et de ses voisines. «Un homme désemparé est venu cogner à ma porte. Pour parler et pour comprendre le sens de la lettre reçue. Des gens pleurent. Je vois plein de détresse. Quelle violence envers des gens vulnérables», lâche-t-elle.
Va-t-elle participer à la première rencontre du comité de résidents qui s’est spontanément mis sur pied après l’annonce du nouveau propriétaire?
«Évidemment», lance-t-elle. «En tant que simple locataire mais aussi par solidarité avec mes 200 voisins et voisines.».
Elle a bien l’intention d’alerter l’opinion publique et de demander aux députés du quartier, la solidaire Manon Massé et le ministre Steven Guilbeault, d’intervenir dans cette affaire.
«Je dénonce la violence du geste posé hier. C’est du mépris des personnes âgées. De l’arrogance. Du capitalisme sauvage», va jusqu’à dire la religieuse.
À cent lieues des valeurs prônées par les anciens propriétaires, le Groupe Longpré, ajoute-t-elle. «On trouvait ici une atmosphère cordiale, chaleureuse, des services de qualité. À la réception, on nous reconnaissait. La direction nous connaissait. Le respect des personnes y était primordial. On vient balayer tout cela du revers de la main.»
Loin du capitalisme sauvage
Le Groupe LRM explique que ce n’est qu’après l’achat de la Résidence Mont-Carmel qu’il a découvert «que des investissements substantiels sont requis dans l’immeuble, qu’il y avait de nombreux avis d’infraction antérieurs qui s’empilaient en provenance de la Régie du bâtiment et que toutes les données pertinentes n’avaient pas été transmises au moment de la transaction, dont un taux élevé d’inoccupation à 12 %».
« Il nous est apparu évident que le modèle d’affaires actuel de la Résidence Mont-Carmel n’était plus viable et qu’il fallait trouver une autre solution pour arriver à garder les résidents actuels dans leur milieu de vie», ajoute le porte-parole du nouveau propriétaire, Éric Barbeau.
Le Groupe LMR a ainsi «jugé préférable de mettre fin à la certification en tant que RPA, d’éventuellement louer les unités vacantes à des locataires non-retraités». Mais d’ici là, le nouveau propriétaire veut aussi «signer de nouveaux baux avec les résidents actuels» afin de «fixer dans le temps leur loyer actuel à des niveaux extrêmement bas, dans le très recherché marché du centre-ville».
«On est bien loin du capitalisme sauvage», objecte Éric Barbeau.