L’auteur Roger Boisvert répond au théologien Paul-André Giguère et à sa recension du livre Pour la suite de l’humanité. Une lecture agnostique des vertus théologales (Éditions Carte Blanche, 2023), publiée le 18 août chez Présence.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous portez à mon essai ainsi que pour les qualités que vous lui reconnaissez. J’ai souri en lisant que vous l’aviez qualifié d’OVNI dans le paysage littéraire québécois, ce dont je suis conscient depuis le début du projet, il y a 15 ans. Malgré son originalité, ma posture agnostique n’est pas totalement nouvelle en christianisme. Vous évoquez vous-même la tradition apophatique des mystiques auxquels le mystère inspire la modestie. Concernant l’hypothèse que vous soulevez, précisons d’entrée de jeu qu’aucun éditeur conventionnel n’a refusé mon manuscrit. J’ai choisi Carte Blanche pour sa formule et cette maison a accepté mon texte.
La principale dimension de mon ouvrage que votre trop brève critique passe sous silence est sa perspective évolutionniste. Celle-ci guide le regard que je porte sur les vertus théologales, le christianisme et, plus largement sur les religions, que je considère comme des phénomènes totalement humains, des expressions de la vie de l’esprit par laquelle la société des humains s’est lentement distinguée de celle des autres grands primates.
Cette perspective justifie l’appellation « dynamismes génératifs » que j’attribue aux théologales. Issus de l’évolution, elles sont les forces spirituelles par lesquelles cette évolution se poursuit en nous. Ainsi, ces dynamismes ne concernent pas seulement les questions métaphysiques (le rapport au mystère). Nous les exerçons également dans les rapports à soi, à autrui et à la nature.
Par exemple, je définis la foi comme le sens du fondement et le dynamisme par lequel nous accumulons et organisons les connaissances et les idées qui constituent notre vision du monde naturel et humain, incluant le mystère, cette vision étant indispensable à la conduite d’une vie humaine. C’est pourquoi je soutiens que la religion et la science sont ses modes d’expression, de même que la philosophie (ce que j’aurais pu souligner davantage). Le besoin de se fier étant indissociable de la capacité de se méfier, la foi a forcément une dimension critique. C’est cette dernière qui inspire la modestie aux mystiques.
Dans cette perspective évolutionniste, mon essai présente la religion comme la première expression structurée de la foi et la science comme son expression perfectionnée, puisque l’autocritique fait partie intégrante de son mode de fonctionnement. Mon texte appelle le christianisme à cultiver sa capacité d’autocritique, ce qui ne va pas de soi pour une tradition religieuse aussi certaine de ses fondements et qui, de surcroît, est celle de la civilisation qui domine le monde depuis plus de 500 ans. Cette autocritique devrait se traduire par l’abandon de toute prétention de supériorité spirituelle et l’adoption d’un rapport de préférence à l’égard des croyances métaphysiques. Par ailleurs, je souligne que les athées doivent également tendre vers ce type de rapport à leurs propres croyances métaphysiques. Nul n’est incroyant.
J’essaie de démontrer que l’humanité est parvenue au seuil d’une nouvelle évolution (après l’émergence de la vie et de l’esprit) qui consiste à assumer les transformations provoquées par le capitalisme et les progrès technologiques. Dans son village planétaire, l’humanité est devenue une communauté de destin. Il nous faut prendre conscience que nous dépendons vitalement les uns des autres sur une planète dont nous perturbons les grands équilibres, ainsi que cultiver et nourrir chez tous et toutes le sentiment d’appartenance à la communauté humaine mondiale (ce qui suppose l’appartenance à la nature) pour que croisse l’autoconscience de l’humanité, sans laquelle elle ne peut se guider viablement. Cet accroissement de la conscience résulte du culte des quatre transcendances (soi, autrui, nature, mystère) qui s’exprime dans la contemplation, la méditation et la révérence et qui s’achève dans une éthique de la bienveillance, du discernement et de la prudence.
Roger Boisvert
L’auteur est docteur en théologie. Il a enseigné à l’Université du Québec à Trois-Rivières et au Petit Séminaire de Québec, et a travaillé au Secrétariat aux affaires religieuses du ministère de l’Éducation.