Jésus, là-dessus, se montrait implacable. « Aucun serviteur, déclare-t-il en Luc 16, 13, ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra le premier et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » Au Vatican, certaines grosses légumes de la curie semblent l’avoir oublié.
On voudrait que ce haut lieu de l’Église soit le centre mondial de la réflexion chrétienne et de l’engagement catholique. On n’imagine pas les prélats qui s’y retrouvent en financiers gérant des investissements et suivant les cotes de la Bourse, encore moins en intrigants cupides à l’affût d’un tour de passe-passe dans les paradis fiscaux. Trop souvent, malheureusement, la réalité dément nos espoirs.
Dans Vatican offshore. L’argent noir de l’Église (Albin Michel, 2023, 190 pages), François de Labarre, grand reporter à Paris Match et spécialiste de l’actualité italienne, expose cruellement l’existence d’une «mafia en soutane» au Saint-Siège.
Les cardinaux et évêques qui défilent dans ces pages vivent, au centre de Rome, dans des «appartements de nababs», parfois financés par des détournements de fonds, sont à la tête de montages financiers camouflés dans des paradis fiscaux qui leur permettent de s’enrichir et font des investissements peu catholiques — pétrole, charbon et même des laboratoires pharmaceutiques produisant la pilule du lendemain —, tout ça avec l’argent officiellement recueilli pour les œuvres de l’Église. Ce n’est pas édifiant.
Certaines de ces affaires ont déjà fait la manchette. L’Union européenne et les États-Unis ont souvent accusé, en effet, les institutions financières du Vatican de manquer de transparence et de servir au blanchiment d’argent.
Selon François de Labarre, Jean-Paul II n’a rien fait pour «changer le mode de gouvernance de la curie romaine ni la gestion opaque des finances». Il s’en serait même servi dans sa guerre contre le communisme, en finançant notamment Solidarité, la fédération syndicale polonaise de Lech Walesa.
Bien conscient du problème et déterminé à imposer la transparence dans les finances du petit État, Benoît XVI, écrit le journaliste, «se heurtera pourtant à une telle résistance qu’il développera un sentiment d’impuissance qui contribuera à sa décision de mettre fin prématurément à ses fonctions».
Le pape François, connu pour la modestie de son mode de vie, annonce, dès son arrivée à la tête de l’Église, «son renoncement au luxe et à tous les artifices du pouvoir». Il prendra, lui, le taureau par les cornes, en dénonçant, un an après sa nomination, «les prêtres onctueux, somptueux et présomptueux». La flèche vise notamment Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire d’État de Benoît XVI et «centre de gravité de cette gouvernance qu’on accuse de tous les maux», que François démettra de ses fonctions.
En 2014, pour faire le ménage, François s’adjoint les services du cardinal australien George Pell. L’homme est contesté. Très conservateur, il a dû gérer le scandale des crimes sexuels des prêtres dans son pays et a fait beaucoup de mécontents. François de Labarre le décrit néanmoins comme «un esprit cultivé, structuré et un homme de terrain», ce que François aurait su voir, malgré de nombreux désaccords avec l’homme.
Pell, selon le journaliste, aurait mené une lutte sérieuse contre la corruption dans l’Église, semant ainsi la panique dans les rangs des profiteurs. Les accusations de pédophilie portées contre lui en 2017, pour des gestes présumément commis en 1996, seraient un coup monté par ses adversaires qui craignent la perte de leur assiette au beurre. Condamné en 2018, Pell sera finalement innocenté en 2020, avant de mourir en janvier 2023.
Le pape actuel, insiste François de Labarre, continue courageusement son combat pour «une administration fidèle et honnête». En juin 2020, il met en place une procédure d’appels d’offres transparente. En mars 2022, dans une nouvelle Constitution apostolique, il impose une politique pour les investissements du Saint-Siège qui interdit les «secteurs contraires à la doctrine sociale de l’Église», comme le pétrole, le nucléaire, les armes, les manipulations génétiques, la pornographie et autres domaines semblables.
Toutes ces affaires douteuses font mal à l’Église, évidemment, et confirment certains des plus désolants préjugés entretenus envers elle. Dans ce dossier comme dans bien d’autres, cependant, le pape François s’impose comme un grand réformateur qui veut sauver l’Église pour les bonnes raisons. Il n’a, lui, qu’un maître, et ce n’est pas l’argent.
C’est la bonne nouvelle de ce grand reportage aussi solide que consternant.