Contrairement à Daniel Baril dans Le Devoir du 22 janvier, 120 profs d’Éthique et de culture religieuse (ECR) affirment que le programme peut (et doit!) être révisé. La plupart d’ailleurs le demande depuis au moins 2016! Voici pourquoi et comment:
- Parce que le programme d’ECR doit intégrer des éléments de contenu plus explicites sur la pluralité des incroyances, sur des critiques de la religion et ajouter les concepts de «savoir», de «croyance», d’«opinion», de «subjectivité» et d’«objectivité». Il doit donc explicitement réaffirmer qu’il refuse tous les intégrismes et qu’on ne doit jamais présenter les dogmes comme des réalités historiques. Il doit redire qu’on ne doit pas non plus favoriser une approche multiculturaliste et des accommodements religieux, et ne jamais sombrer dans le relativisme. Rappelons que nous avons le devoir en classe d’intervenir lorsque des propos même basés sur des croyances et des idéologies sombrent dans les dérives sexistes, sectaires, violentes, etc.
- Parce que le programme doit réaffirmer le caractère laïc de l’école et les valeurs de la société québécoise comme la primauté du droit, la séparation des pouvoirs politiques et religieux et l’égalité. Il doit réaffirmer que de «bonnes» valeurs peuvent être laïques et que certaines autres pratiques allant à l’encontre des lois, même issues d’une croyance religieuse sincère, sont inacceptables dans une société laïque. Pensons au mariage des mineurs. Comme il le fait si bien déjà, ECR doit continuer à créer un socle commun de valeurs universelles qui va au-delà des particularismes religieux.
- Parce que le ministère de l’Éduction et de l’Enseignement supérieur, lors de l’évaluation des manuels d’ECR, ne tient pas compte de l’égalité entre les genres dans le contexte particulier de la culture religieuse. Il faudrait donc s’assurer d’être plus près de la réalité en présentant dans les manuels, par exemple, des musulmanes voilées et non voilées. Il ne s’agirait pas de cacher des inégalités persistantes, mais de montrer que les dynamiques entre les genres sont complexes et qu’elles varient selon les courants existant à l’intérieur même des religions.
- Parce que le programme devrait inclure la philosophie pour enfants et adolescents à titre d’options pertinentes, avec d’autres approches possibles et en conformité avec la liberté académique des enseignants. De plus, le programme doit explicitement favoriser l’enseignement des courants philosophiques séculiers tels que l’éthique utilitariste, libertarienne, de la sollicitude, etc.; indispensable contenu pour préparer nos élèves aux cours de philosophie du cégep.
- Parce que le programme doit être enseigné par des personnes dûment formées en ECR puisqu’il traite de sujets sensibles relatifs à la religion et à l’éthique. L’UNESCO, les conclusions du rapport Proulx et les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, avec la majorité des Journet, Dutrisac, Pelletier et autres (le ministre Roberge va aussi en ce sens), et en accord avec les experts, tous reconnaissent que la culture religieuse et son regard anthropologique sur le monde sont cruciales pour la culture générale et pour favoriser la tolérance. Seul du personnel qualifié peut permettre aux élèves de comprendre de manière signifiante qui est l’homme mort sur la croix, pourquoi certains le prient et d’autres l’honnissent, et quelle influence il a eu et a encore sur la société québécoise; les aider à reconnaître que tous les arguments ne se valent pas, pour réfléchir à ce que sont la laïcité identitaire anti-religieuse ou les intégrismes religieux.
- Parce que le programme peut s’adapter et susciter la réflexion critique sur les enjeux contemporains comme l’écocitoyenneté, les médias ou le juridique. Il faut toutefois éviter que la nouvelle mouture ne devienne un cours fourre-tout de morale ou de Formation personnelle et sociale 2.0 où la réflexion critique ferait place à de simples campagnes de sensibilisation où on informe du «bien» à faire et du «mal» à éviter. ECR est le bouc émissaire de certains. Pour eux, en l’abolissant, on règlerait tous les écueils du système scolaire québécois. On consulte les gens pour savoir ce qu’ECR doit contenir, mais les a-t-on déjà sondés pour savoir quels romans les élèves devraient lire dans leurs cours de français? Pour nous, la posture d’impartialité de l’enseignant auprès de ses élèves demeure essentielle et ECR doit faire ce qu’il fait déjà de mieux depuis 12 ans et qui est intemporel: ne pas montrer quoi penser, mais comment penser. Ne pas moraliser, mais faire réfléchir; développer l’esprit critique; repérer les sophismes; apprendre à fonder ses points de vue sur des arguments rationnels et non sur des opinions trop souvent émotives et superficielles. Enfin, le programme doit conserver ses deux finalités: la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Imaginez: quel beau programme ce serait!
Chantal Bertrand, doctorante en sciences de l’éducation et Martin Dubreuil, enseignant d’ECR