Précipitation, absence de consultation, experts ignorés tout autant que les acteurs et actrices du terrain. Cela rappelle quelque chose? N’est-ce pas la méthode Jolin-Barrette? N’est-ce pas ce manque d’écoute que François Legault a reproché à son ministre à quelques reprises? Et pourtant, c’est exactement la même manie que nous voyons à l’œuvre avec le ministre Roberge dans le dossier de la réforme ou l’abolition du programme Éthique et culture religieuse (ECR).
Un sondage en ligne, à remplir en 15 minutes, avec des groupes de questions qui trahissent déjà les choix – pour ne pas dire les réponses – du gouvernement. Questions avec choix de réponses défectueux (impossible de répondre «je ne sais pas» à des questions qui supposent une connaissance précise du programme). Possibilité pour une même personne de répondre au sondage 10 fois, 50 fois si elle le souhaite. Est-ce sérieux?
Et qu’on ne nous rappelle pas ici la possibilité d’envoyer un mémoire d’ici le 21 février. On en trouve bien une brève mention sur la page Internet d’accès au sondage – presque vers la fin. Mais en l’absence de commission parlementaire ou de commission de consultation, qui lira ces mémoires? Pour en faire quoi? Selon les informations reçues à notre demande, là aussi la délibération sera opaque: ni les experts ni les enseignants n’y participeront.
Plusieurs sont d’avis que le programme ECR nécessite une évaluation depuis longtemps, une évaluation rigoureuse qui sait aussi reconnaître ce qu’il comporte d’innovations et d’intuitions justes. Dès le début cependant, d’aucuns le trouvaient à la fois éclaté, trop chargé, affligé d’angles morts tels celui sur l’athéisme. D’autres ont critiqué une approche complaisante des religions.
Le cours d’ECR avait été créé à partir du travail de fond, documenté, collégial, fait par le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école (1999). C’est ce qu’il fallait pour créer quelque chose de novateur. Malheureusement, par la suite, l’évaluation d’une première version, l’expérimentation en classe, et la formation des enseignants furent réalisés à la hâte dans la majorité des commissions scolaires. De plus, ce programme n’a jamais obtenu qu’un statut marginal dans l’ensemble des cycles du primaire et du secondaire, ce qui ne s’annonce pas autrement pour la réforme envisagée. Faire valoir qu’avec la manière actuelle on aboutira à un meilleur cours – à implanter en 2022 s’il vous plaît! – c’est se bercer d’illusions. Mais au moment des bilans et de la relance, l’occasion est donnée à ce gouvernement de faire un travail approfondi, qui serait à son crédit.
L’intuition du rapport Proulx (1999) était à l’effet que la culture religieuse forme une composante importante de la culture générale, qui est reflet du monde dont nous avons hérité. Ce que le rapport n’avait pas considéré, c’est une école publique d’où se dégage si peu de préoccupation pour une culture générale, sinon de manière éclatée, comme l’ont montré divers travaux dont ceux de Paul Inchauspé (1997, 2007). À quoi bon, dans cette perspective, une culture religieuse? Mais trêve d’ironie. Ce qu’il faudrait, ce n’est pas réduire la culture religieuse mais rehausser l’enseignement de la culture générale, y compris dans ses dimensions religieuses. À cet effet, il faudrait former un nouveau groupe de travail sur la culture générale à l’école, regroupant des experts issus des arts, lettres et sciences humaines.
Et que dire de l’éthique? C’est la délibération sur les finalités des actes et sur les possibilités qu’offre le réel. C’est aussi une délibération sur les questions qui concernent le bien commun. Cela suppose un apprentissage. Or, dans le projet, ou ce qui s’en dessine, il est à craindre que la part faite à l’éthique soit rognée au profit de la morale: inculquer une vision du bien et du mal, des codes de vie, en termes juridiques, écologiques, sexuels, numériques, etc. C’est sans doute important, mais est-ce de l’éthique à proprement parler, ce qui peut le mieux forger le jugement d’êtres libres et critiques?
Nous, signataires de cette lettre, croyants ou incroyants, sommes aussi citoyens et citoyennes, parents, grands-parents et bien d’autres choses encore. À travers notre prise de parole, notre préoccupation n’est pas la transmission d’une religion, mais la capacité à former des citoyen.ne.s cultivé.e.s, en matière religieuse comme dans le reste, et responsables, ce qui suppose la formation du jugement éthique.
Le gouvernement de François Legault a entrepris un travail nécessaire à propos du programme d’ECR. Mais il lui faudra de nouveau renvoyer son ministre à ses devoirs pour la méthode de consultation et pour le temps consacré à l’élaboration d’un nouveau programme ainsi qu’à son implantation. Ce n’est qu’à ce prix qu’il se donnera les moyens de réussir son pari.
Ont signé:
- Jean-François Roussel, professeur, Institut d’études religieuses, Université de Montréal, rédacteur principal
- Jocelyn Girard, professeur, IFTP Chicoutimi, et chargé de cours, UQAC
- Mireille Estivalèzes, professeure, Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
- Louis Rousseau, professeur émérite, UQAM
- Sébastien Doane, professeur adjoint, Faculté de théologie et de sciences religieuses – Université Laval
- Marc Dumas, professeur, Centre en études du religieux contemporain, Université de Sherbrooke
- Elaine Champagne, professeure, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval
- Simon Maltais, éditeur adjoint, Édition Novalis
- Marc Jean, professeur en éthique, UQAC
- Robert Mager, professeur retraité, Université Laval
- Denise Couture, Professeure retraitée, Institut d’études religieuses, Université de Montréal
- Alain Ratté, membre du Secrétariat aux affaires religieuses de 2005 à sa dissolution (rattaché au ministère de l’Éducation)
- Patrice Bergeron, professeur, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval
- Étienne Pouliot, chargé d’enseignement, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval
- Pierrette Daviau, professeure retraitée, Université St-Paul, Gatineau
- Francis Daoust, directeur général de la Société catholique de la Bible
- Jean Grou, rédacteur en chef, Vie liturgique – Prions en Église
- Alain Ambeault, CSV Directeur général, Conférence religieuse canadienne
- Alain Gignac, professeur, Institut d’Études religieuses, Université de Montréal
- Martin Bellerose Professeur et directeur de l’Institut de pastorale, Collège universitaire dominicain
- Anne-Marie Chapleau, bibliste, professeure, Institut de formation théologique et pastorale, Chicoutimi
- Patrice Brodeur, professeur, Institut d’études religieuses, Université de Montréal
- Jacques Cherblanc, professeur agrégé, Unité d’enseignement en études religieuses, en éthique et en philosophie, directeur du LERARS, UQAC
- Suzanne Desrochers, adjointe au directeur de l’Office de catéchèse du Québec
- Stéphanie Gravel, Ph.D., chargée de cours en éducation, UQAC et Université de Montréal
- Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque, doctorante en études du religieux contemporain, Université de Sherbrooke, intervenante en soins spirituels, CHUS
- Louis-Marie Beaumont, modérateur de l’unité pastorale des Deux-Rives, Saguenay
- André Fortin, citoyen engagé, Saguenay
- Marc Fournier, agent de pastorale, Alma
- André Bergeron, superviseur en entreprise, étudiant en théologie, Saguenay
- Isabelle Schneider, étudiante, Institut d’Études religieuses, Université de Montréal
- Élisabeth St-Pierre, étudiante au bacc. en enseignement secondaire et développement personnel (ECR), UQAC
- Robert Gaudin, psychologue honoraire, retraité et pratiquant, Saguenay
- Claude Gilbert, retraité, responsable de communauté
- Lise Gravel, enseignante retraitée en sciences religieuses et éthique
- René Lapointe, président de conseil de fabrique, Jonquière
- Réjean Bergeron, président de conseil de fabrique, St-Charles-Borromée
- Jocelyn Claveau, marguillier, Jonquière
- Renée Lepage, coach et formatrice, Institut de formation théologique et pastorale, Chicoutimi
- Denise St-Pierre, responsable de la formation à la vie chrétienne, Baie-Comeau
- Jimmy Delalin, prêtre et conseiller théologique, Baie-Comeau
- Suzanne Lévesque
- Daniel Desmarquis, concepteur pédagogique
- Jacques Marcotte, O.P., retraité de pastorale scolaire et paroissiale, Gatineau et Québec
- Réjeanne Martin, retraitée de l’enseignement et chargée d’activités pastorales
- Claude Deschenes, agent de pastorale, Sacré-Coeur-Tadoussac
- Édith Savard, citoyenne, responsable de communauté chrétienne
- Éliette Girard, citoyenne
- Mirianne Hamel, intervenante sociale retraitée
- Anne-Marie Ricard, conseillère d’orientation et psychothérapeute, Québec
- Roger Boisvert, citoyen
- Isabelle Tremblay, enseignante ECR, Roberval
- Frédéric Tremblay, formateur, IFTP Chicoutimi