(En réponse aux propos de Véronique Cova parus dans l’article d’Yves Casgrain et intitulé: La marchandisation des chemins de pèlerinage au Québec à l’étude.)
L’enquête qu’effectue Mme Cova est très intéressante. Les enjeux qu’elle soulève sont manifestes. Au Québec, comme ailleurs le long des chemins de pèlerinage d’Espagne ou de France, le mot Compostelle a bel et bien envahi l’imaginaire collectif. À un point tel, qu’il devient avantageux pour les commerçants de s’y associer en le faisant figurer dans leur dénomination sociale. Pour avoir effectué moi-même différents chemins de Compostelle, il est aisé de constater que plusieurs ont saisi l’opportunité financière de cette activité. En ce sens, la recherche de Mme Cova met bien en évidence cette facette d’un tourisme religieux en pleine effervescence.
Toutefois, les avancées de Mme Cova pour expliquer le phénomène «religieux» du pèlerin-randonneur ne rendent pas justice aux enjeux de l’exercice lui-même. Si l’appellation pèlerinage tient toujours la route, c’est qu’il ne s’agit pas que d’une longue randonnée pure et simple. Il y a «autre chose» et c’est dans ce «autre chose» que tout se joue. Ce que Mme Cova nomme comme étant du paganisme plus que du religieux, n’est en fait que ce que Michel de Certeau appelait de l’inconnu en parlant du paganisme dont faisait état Alphonse Dupront. L’interpellation «païen» fait référence à un religieux qui n’est pas connu, qui n’est pas de la même religion. Le religieux n’est donc pas absent, mais présent sous une autre forme.
De fait, le religieux est bien présent dans le pèlerinage de longue randonnée. Même si plusieurs pèlerins se refusent à le nommer ainsi, la plupart parleront de spiritualité ou y trouveront une occasion de questionner le sens de leur vie. Pierre Rajotte et Jacques Caroux, qui ont longuement étudié les récits de pèlerins, font remarquer que «des valeurs judéo-chrétiennes; sans être les seules valeurs éthiques positives reconnues dans ces récits […] sont métissées quelquefois avec d’autres jaillissements religieux et d’autres sources de sagesse»*. Ce qui demande à être clarifié ici, c’est la notion de religieux. Les propos de Mme Cova semblent annoncer comme païen, ou areligieux, tout ce qui n’est pas chrétien. Le terme païen est sans doute dépassé et il serait bien qu’elle puisse clarifier sa position. Dans le cas du pèlerinage, il conviendrait mieux de se demander de quel religieux (qui englobe le spirituel) s’agit-il? Je crois que c’est parler bien vite que de dire que les pèlerins de longue randonnée sont sans espace religieux. D’autant plus que 92% des pèlerins (statistiques de 2016 pour Compostelle) disent le faire pour des raisons religieuses et culturelles.
Actuellement, mes observations m’amèneraient davantage à formuler l’hypothèse de «la religiosité de la marchandisation». Notre culture de consommation prendrait de plus en plus la forme d’une religion. Sous cet angle, ce n’est pas le religieux qui est extrait du pèlerinage par sa marchandisation, mais bien le religieux de la culture de consommation qui s’insinue dans le pèlerinage…
Éric Laliberté
Doctorant en théologie, spécialisé dans l’étude du pèlerinage. Université Laval
Directeur du centre Bottes et Vélo – Le pèlerin dans tous ses états
*Caroux, J. et P. Rajotte (2008). « Récits de pèlerins québécois à Saint-Jacques-de-Compostelle. Vers une reconfiguration de religieux? » Globe: revue internationale d’études québécoises 11(1): 72.