Les trois religions monothéistes ont en commun de faire reposer leurs positions dogmatiques et morales sur des écrits considérés comme «saints». Si l’on se pose en croyant ou croyante face aux Écritures de sa propre religion avec la conviction qu’elles doivent être prises «à la lettre» et ne peuvent aucunement être interprétées en fonction de l’évolution des connaissances et de l’esprit humain, il devient alors impossible de réfléchir et de discerner sur des choix éthiques propres à notre époque. Il n’y aurait plus qu’à suivre les prescriptions qui y sont édictées, même si le contexte de leur élaboration ne tient pas compte de la réalité actuelle.
Prenons le cas d’Omar Mateen, le tueur d’Orlando.
On sait qu’il fréquentait la boîte de nuit gaie où il a tué 49 personnes. Au-delà des spéculations sur son orientation sexuelle, on sait également qu’il était issu d’une famille de culture afghane et musulmane où l’homosexualité – en droite ligne avec une certaine lecture coranique – est condamnée. Alors, comment aurait-il pu assumer cet aspect de sa vie sans devoir renoncer à sa religion, à sa culture, à sa famille?
Nous parlons ici d’un musulman, mais on trouvera d’autres exemples aussi frappants dans la Torah pour les juifs et la Bible des chrétiens. Une lecture littérale (mais quand même sélective) fera toujours aboutir à la conclusion que les actes homosexuels font horreur à Dieu, que celui-ci les condamne fortement et qu’il prévoit les sanctionner par la mort. De là à ce qu’un croyant fanatisé se sente poussé à se faire lui-même le justicier de Dieu et à accomplir la sanction prévue, il n’y a qu’un pas que plusieurs ont franchi.
Comment lire les Écritures?
Ce qui cloche ici, si on peut le dire ainsi, c’est le rapport au texte qui est témoin d’une expérience croyante, la plupart du temps historique, c’est-à-dire contextualisée. Est-ce qu’une position dogmatique fondée sur une lecture fondamentaliste du texte peut encore être justifiée? Après tout, même saint Paul écrivait : «La loi écrite mène à la mort, mais l’Esprit mène à la vie» (2 Corinthiens 3, 6). Ce qui fit dire à Benoît XVI (oui, lui), que Paul avait découvert que «l’Esprit qui rend libre possède un nom et donc que la liberté a une mesure intérieure». Une lecture «catholique» de la Bible devient un acte de liberté par rapport à «la lettre», non pas pour la réfuter ou la nier, mais plus encore pour l’interpréter dans la seule lumière du Christ.
De façon générale, les chrétiens ont fait ce travail de se réapproprier leurs Écritures et leur Tradition à la lumière de ces enseignements. Les juifs également ont eu leurs occasions de prendre une distance face au texte, permettant parfois des interprétations très libérales, voire même athées. Quant aux musulmans, on voit poindre des postures théologiques capables d’articuler la vie moderne avec l’esprit du Coran. Mais la tendance est plutôt au salafisme et à ses dérivés qui font une lecture littérale et politico-juridique menant parfois à une radicalisation militante.
Si, individuellement, les croyants dans leur vaste majorité sont capables de vivre sereinement un certain décalage entre leur propre vie et les commandements de leur religion respective, ce n’est pas le cas pour d’autres qui, se croyant «purs» et chargés de faire le ménage, en viennent à estimer que le mal dans le monde vient essentiellement du péché des autres et qu’il faut donc l’éradiquer en leur imposant leur religion ou en souhaitant leur élimination…
Pourtant, le Dieu miséricordieux auquel se réfèrent les trois religions du Livre, c’est aussi celui qui murmure à l’oreille de chacun: «Si ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur.» (1 Jean 3, 20). S’il fallait suivre «à la lettre» les Écritures, peut-être faudrait-il d’abord commencer par ce passage. Il n’est pas impossible que la société civile et la majorité de nos concitoyens aient mieux compris le cœur de Dieu que les religions sur cette question sensible.