Il y a quelques jours, la juge à la retraite Pepita G. Capriolo déposait son rapport commandé par l’archevêque de Montréal concernant la carrière de l’abbé Brian Boucher au sein de l’Église catholique. Ce prêtre, aujourd’hui laïcisé, a agressé des mineurs et a été condamné à une peine de 8 ans de prison.
L’Église était et reste passive dans les cas d’agressions sexuelles sur mineurs. Peu importe le pays, ces affaires sont traitées suivant un parcours désormais classique: des victimes qui prennent sur elles la tâche de faire connaître leur situation, des journalistes qui enquêtent et un système de justice qui agit. Jamais, le clergé n’est l’instigateur.
Combien de cardinaux, d’archevêques et d’évêques ont dénoncé des prêtres pédophiles? Le réflexe était plutôt inverse: on les protégeait.
La juge Capriolo a certes enquêté à la demande de l’archidiocèse, mais ce dernier a été obligé de réagir en raison de la pression sociale. Il a fallu un procès criminel pour donner un tel mandat à une experte externe. Mandat par ailleurs très circonscrit: s’intéresser uniquement à Boucher en s’arrêtant au moment des procédures criminelles. Ainsi, toutes les informations utilisées lors du procès canonique – survenu par la suite – échappaient au mandat.
Le pape et la crise chilienne
Relire la crise de l’Église chilienne est particulièrement pertinent pour le contexte montréalais.
Au Chili, le pape avait rabroué les victimes d’un prêtre pédophile qui accusaient l’évêque Juan Barros d’avoir couvert le prêtre en laissant entendre qu’elles le calomniaient. Réalisant l’absurdité de ses propos, il s’était excusé publiquement quelques jours plus tard.
Constatant que les évêques ne lui avaient pas tout dit, le pape a demandé une enquête sur la situation au Chili. Au mois d’avril 2018, l’enquêteur du pape, Mgr Charles Scicluna, lui remettait son rapport de 2300 pages, travail titanesque en un temps record. Tous les évêques chiliens présentèrent leur démission. Le pape en accepta plusieurs.
En février 2019, François convoqua une réunion spéciale de tous les présidents de conférence épiscopales de la planète. Plusieurs recommandations axées sur la transparence furent émises.
Sur la forme, la recherche de solutions continue de s’opérer dans des cercles restreints de clercs, tout en gardant les laïcs et la presse à distance. Bref, une gestion de l’intérieur qui n’ose ébranler les habitudes d’opérer en secret, qui reste la norme.
Le rôle de Lépine
On apprend dans le rapport Capriolo qu’en mai 2012, Christian Lépine – nommé archevêque quelques semaines plus tôt – croise Boucher dans une marche contre l’avortement à Ottawa. À cette occasion, l’évêque auxiliaire Thomas Dowd lui fait certaines observations sur le caractère difficile du clerc. Mgr Lépine lui demande s’il y avait des abus sur des mineurs. Mgr Dowd l’invite à consulter les rapports des experts de l’époque, car il semblerait qu’une affaire concernait un mineur (page 138-139 du rapport).
En 2013, à la suite de plaintes contre le prêtre, Mgr Lépine redemande à Mgr Dowd s’il y avait des plaintes sexuelles contre Boucher. La réponse fut négative et Mgr Dowd lui rappela l’affaire du passé (p. 144). Nous ne savons si Mgr Lépine avait consulté les archives secrètes comme le pensait Mgr Dowd. Le rapport de la juge est muet sur cette question, elle ne donne pas la version de Mgr Lépine.
En 2014, alors qu’on s’apprête à envoyer Boucher étudier à Washington, Mgr Lépine demande encore à Mgr Dowd si l’ex-prêtre avait un passé pédophile. La réponse de Mgr Dowd est toujours la même: pas à sa connaissance, mais il invite encore une fois Mgr Lépine à consulter les archives secrètes du diocèse (p. 146).
Ainsi, nous pouvons comprendre du rapport qu’en trois occasions, en 2012, 2013 et 2014, Mgr Lépine s’est interrogé sur la potentielle pédophilie de Boucher. Toutefois, on ne sait pas si Mgr Lépine a consulté les archives secrètes
Mgr Lépine a fait parvenir au cardinal Donald Wuerl, archevêque de Washington, une lettre de recommandation pour Boucher. Le document transmis (p. 146) élude toutes les difficultés de l’archidiocèse avec lui. Rien ne concerne sa misogynie, son homophobie, ou son caractère contrôlant et colérique.
Le rapport Capriolo ne fait que mentionner l’existence d’un procès canonique contre Boucher, celui étant survenu après la période couverte par son enquête. Ainsi, rien du procès canonique, de ses documents ou du rôle qu’y a ont joué les autorités diocésaines – dont Mgr Lépine – ne font partie du rapport.
La recherche de vérité et de transparence est là, mais elle laisse encore à désirer. Des parts importantes de l’histoire restent cachées. Les rares laïcs invités à se mêler de ces dossiers ont des rôles très circonscrits, essentiellement consultatifs, et aucun véritable pouvoir au sein de l’appareil ecclésial. Le discours officiel évolue, mais la culture du secret a encore de beaux jours devant elle.
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