S’il faut applaudir la réflexion du pape François qui donne une grande place aux propositions et analyses issues du Synode sur l’Amazonie dans l’exhortation apostolique Querida Amazonia, notamment sur les questions d’ordres social, culturel, écologique et pastoral, renforçant la dénonciation de la déforestation abusive, de l’économie sauvage et des injustices subies par les autochtones, l’évêque de Rome ne se sera pas rendu aux attentes exprimées ad intra sur le ministère ordonné à l’occasion du même synode.
En effet, ni l’obligation du célibat ecclésiastique, ni l’accès de diacres mariés au presbytérat ne bougeront à partir de ce document. Pour ce qui est des femmes, nous voyons encore la même rengaine à propos de leur dignité exceptionnelle, de leur force et courage et de leurs «dons uniques», tout ça visant à nier la possibilité pour elles de servir dans l’Église en tant que prêtres ou diaconesses. Bref, le pape n’a surtout pas voulu ouvrir cette boîte de Pandore dans son exhortation, sans doute moins pour ne pas déplaire aux Sarah et compagnie ou au pape émérite que pour ne pas déplacer l’attention ailleurs que sur les enjeux urgents de l’Amazonie.
Attendre, encore?
Pour les catholiques progressistes, cette déception s’ajoute à la multitude des occasions où leurs attentes furent balayées. Si, par rapport au seul célibat optionnel pour les prêtres, même François jure qu’il ne voudrait pas se «présenter devant Dieu avec cette décision», comment se fait-il que tant de membres de l’Église attendent encore d’un pape qu’il joue les trouble-fête avec la Tradition?
Pour un grand nombre de catholiques qui expriment un désir de réformes, la diversification des modes d’exercice du ministère ordonné ne devrait pas faire problème au point d’ébranler les colonnes du temple. Les raisonnements comme «on ne peut rien changer à la volonté exprimée par Dieu» ne passent qu’au sein des groupes qui boivent les arguments magistériels comme s’ils venaient directement de Dieu, sans un recours à l’histoire et sans la médiation des Écritures qui, elles, sont nettement plus ambivalentes.
Ce rendez-vous manqué ne peut qu’achever de décourager ceux et celles qui espéraient encore hier un début de petit pas dans la direction à laquelle aspire une grande partie des réformistes.
Une autre occasion ratée
François avait une belle opportunité de confirmer sa détermination à combattre le cléricalisme en créant une première brèche dans sa muraille pluriséculaire. En choisissant de ne pas franchir ce pas, il apaise les représentants de la frange conservatrice qui ne peut entrevoir autre chose qu’un maintien absolu de l’état actuel de la structure hiérarchique de l’Église, fidèle reflet, selon elle, de «la volonté de Dieu» qui s’est manifestée au cours des siècles par la cristallisation du modèle actuel des ministères.
Ce n’est donc définitivement pas sous François que la mesure disciplinaire du célibat ecclésiastique va connaître des exceptions, sauf pour les transfuges de l’anglicanisme ou de l’orthodoxie qui sont tolérés tant qu’ils n’envahissent pas plus abondamment l’Église! Quelle alternative reste-t-il à celles et ceux qui ont espéré une brise réconfortante pour leur espérance? Quitter, certes, comme tant de baptisés qui ont déjà tourné le dos à l’Église, ou prendre le pape au mot quand il affirme que les laïcs doivent s’engager dans toutes les responsabilités qui ne requièrent pas le sacerdoce, en incluant cette fois-ci les femmes.
Malheureusement pour le pape, le refus maintes fois répété de voir un jour accueillir des femmes dans le ministère ordonné, qui ne tient plus qu’à des arguments de tradition dont une conception archaïque de la représentation masculine du Christ, vient consolider la perpétuation du système hiérarchique patriarcal. En donnant l’argument que d’ouvrir le ministère ordonné aux femmes ne ferait que les cléricaliser, François se prive d’un moyen extraordinaire pour casser de l’intérieur cette distinction sacralisée du prêtre-homme placé dans une catégorie à part, au-dessus du baptême qui fait pourtant de tous les membres de l’Église des «prophètes, rois et prêtres».
Vider le sacerdoce de ce qu’il n’a pas à être
La solution, pour les résistants, ne consisterait-elle pas, en quelque sorte, de vider le sacerdoce de tout ce qui n’est pas propre à son essence? Et quelle est donc cette essence? Lorsqu’un prêtre, écartelé dans une Église incapable d’en ordonner d’autres pour répondre à ses besoins, ne «servirait» plus qu’à présider des messes en cascade, à administrer en vitesse le sacrement du pardon et l’onction des malades lorsqu’il reste du temps, la réduction de son univers finirait par en faire un simple instrument sacramentel.
Pour tout le reste – c’est déjà le cas chez nous – les hommes et les femmes peuvent «suppléer». Tant qu’ils suppléeront de manière signifiante et qu’ils seront reconnus par leurs pairs, ils les serviront en leur permettant de se sentir moins éprouvés par le manque de prêtres et même de s’y habituer, de «faire avec» en créant de nouvelles manières d’être ensemble et de célébrer, fondées sur les charismes reconnus et installées dans la durée, comme en Amazonie.
Dans un tel contexte, les futurs candidats au sacerdoce risquent de se mettre encore plus à bouder les séminaires parce que ce service confiné à n’être que des mains qui consacrent ne leur conviendra plus. Résultat: moins de prêtres, davantage concentrés sur les sacrements qui requièrent l’ordination et de moins en moins aux prises avec la dimension pastorale et l’accompagnement spirituel et, donc potentiellement moins sous l’emprise du cléricalisme…
Retirer au statut clérical les privilèges que «la tradition» leur a accordés historiquement afin que l’Église catholique devienne de plus en plus romaine, centralisée et papale, un tel programme ne pourra vraisemblablement pas se faire par de simples dénonciations, fussent-elles exprimées par le pape lui-même. Il faudra plutôt un changement profond d’attitude de la part des membres baptisés et des prêtres actifs refusant de se prêter à ce jeu de la sacralisation frisant parfois l’idolâtrie.
Mais il faut plus que du courage pour croire qu’une telle réforme «d’en-bas» puisse arriver. Il est certainement plus probable que la désertion des baptisés se poursuive jusqu’à ce que cette Église finisse par s’étouffer dans l’entre-soi clérical.
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