L’élection américaine s’est achevée par une victoire longuement attendue de Joe Biden, après des jours de décomptes qui ont prêté le flanc à toutes les contestations que l’enfant-roi déchu et sa cour pouvaient imaginer pour éviter la défaite selon les règles. Malgré l’incertitude d’une transition qui s’annonce difficile, nous sommes mûrs pour retrouver le goût de croire que la politique peut redevenir un champ d’espérance à cultiver.
Les spécialistes des États-Unis le disent depuis longtemps: cette nation est profondément divisée. On peut même dire qu’elle n’a jamais connu de véritable unification. S’il y a quelques idées forces qui unissent ce peuple, c’est sans doute dans sa vision économique libérale alimentée par le rêve américain, une liberté dégagée de toute entrave, mais plus encore le patriotisme associé au fait d’être la première puissance mondiale. C’est d’ailleurs dans les guerres que ce peuple a pu faire l’expérience de son unité, même si une minorité de plus en plus importante trouve le courage de dénoncer ses engagements militaires.
S’il est, enfin, une image qui rassemble passablement les Américains, c’est celle du mâle exalté à la John Wayne que Donald Trump aimerait bien incarner. Mais le spectacle de sa déchéance, en particulier son premier discours après l’élection où il s’est montré comme le pire des mauvais perdants, terminant le dos courbé, l’air abattu, sera peut-être ce qui demeurera dans les esprits de ses sympathisants les plus envoûtés.
La fracture s’étend aussi au monde religieux.
Il me semble n’avoir jamais été témoin d’une aussi grande partisanerie des chrétiens, en partant de la base jusqu’aux leaders les plus en vue. S’il nous est plus habituel de voir les preachers se lancer en croisades pour les républicains, le nombre de représentants catholiques à s’être investis dans cette campagne paraît indigne de leur position. Des religieuses attroupées, des prêtres militants et même plusieurs évêques ont rompu leur devoir de réserve pour s’afficher franchement du côté du sauveur de tous les fœtus qui seraient conçus après cette élection. Et c’est sans compter la contribution de l’ex-nonce aux États-Unis, Carlo Maria Vigano, à voir dans Trump celui qui pourrait libérer le monde de l’«État profond» (deep state) qui ne serait rien d’autre que l’œuvre de Satan!
Une telle compromission va à l’encontre de l’enseignement social de l’Église qui interdit à son clergé toute forme de militance politique. Aucun parti n’a jamais pleinement présenté et encore moins réalisé un programme totalement en accord avec la doctrine catholique. L’art du politique est de faire des compromis. C’est pourquoi ni le pape ni les évêques ne sont autorisés à faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Vous me direz qu’à l’époque de Duplessis, le bleu et le rouge étaient particulièrement marqués ici aussi. Mais le clergé québécois n’était pas plus en ligne avec la position de neutralité officielle exigée pour leur office.
Ces quatre années de débordements de la part d’un narcissique mégalomane ont plongé son pays dans des turpitudes qui auraient été inimaginables chez tous ses prédécesseurs. Pourtant, Donald Trump n’est pas l’inventeur du trumpisme. Ce n’est que le nom le plus récent donné à cette forme de populisme qui n’a cure de la démocratie et du respect des institutions. À preuve, Steve Bannon, son ancien stratège qui a trempé dans la sauce populiste bien avant l’arrivée de l’élu, a même appelé à la décapitation du Dr Anthony Fauci et du directeur du FBI. Cela ne vous rappelle pas d’autres extrémismes qui, parce qu’ils sont religieux, nous paraîtraient plus dangereux?
En réalité, un grand nombre d’Américains étaient déjà shootés à cette drogue complotiste que le Qanon et autres pseudo-révélateurs de «vérités cachées» se plaisaient à infuser dans les esprits, les médias sociaux aidants. Ce virus s’est même invité chez nous, au Québec, depuis quelque temps. La pandémie a fini par en dévoiler les principaux hérauts. Il était assez incongru de voir les slogans pro-Trump et les drapeaux américains s’amener dans les manifestations anti-masques! Pourquoi ne pas revendiquer l’annexion aux USA si ce pays nous surpasse tant?
Pendant qu’on croit se défendre contre les moulins à vent de conspiration mondiale pédo-sataniste, des courants fondamentalistes gagnent des points contre la liberté de choix des femmes et des mouvances suprémacistes ont le champ libre pour exacerber les tensions raciales et xénophobes. Les années Trump ont aussi vu les États-Unis se désolidariser de plusieurs grandes institutions internationales et reprendre leur course folle au développement sauvage qui ne tient pas compte la fragilité de notre écosystème et des peuples qui l’habitent.
Une introspection à faire
À l’autre bout de la planète, on voit poindre un nouveau modèle de démocratie empreint de compassion et de coopération. La première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, est en train de montrer au monde qu’il est possible de faire de la politique autrement et que nous ne sommes pas condamnés à jouer le jeu des fatalismes et d’une économie qui semblent engorger nos gouvernements.
Cette jeune femme et son équipe majoritairement féminine et inclusive font un pied de nez aux vieilles gardes des grandes nations de l’Occident qui sont empêtrées dans des modèles de gouvernance et des systèmes électoraux qui relèvent d’un autre siècle.
Le pape François s’est invité dans cette réflexion. «Une meilleure politique, écrit-il dans sa récente encyclique Fratelli tutti, mise au service du vrai bien commun, est nécessaire pour permettre le développement d’une communauté mondiale, capable de réaliser la fraternité à partir des peuples et des nations qui vivent l’amitié sociale. Au contraire, malheureusement, la politique prend souvent aujourd’hui des formes qui entravent la marche vers un monde différent.»
Le «mépris des faibles», poursuit-il, peut se cacher tant sous le populisme que sous le libéralisme. Il appelle à penser un «monde ouvert» où chacun est respecté et a sa place.
Vivement que les élus entendent ces exhortations afin qu’ils puissent s’engager à explorer des nouvelles modalités du contrat social dans une logique de dialogue et d’inclusion plutôt que de maintenir des approches divisives qui ne servent, à court terme, qu’à prendre ou à conserver le pouvoir.
Il est temps de tourner le dos à cette époque et aux monstres populistes qu’elle a engendrés. Ce n’est plus l’avenir qui est en jeu, c’est l’espérance de pouvoir en percevoir les prémisses.
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