Je me suis fait le cadeau de participer à la deuxième rencontre autochtone, rebaptisée « rencontre interculturelle », à l’invitation du père Bernard Ménard et quelques amis engagés dans le dialogue avec les Premières Nations. L’événement avait lieu les 31 mai et 1er juin, au sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.
Entre la rencontre de 2017, remplie d’espérance, et celle de cette année, il y a eu «l’affaire Joveneau», puis la débâcle de la lettre de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), à propos des non-excuses du pape François. Ces deux événements constituaient un fort répulsif face à toute initiative de rapprochement.
Certains responsables ont pensé qu’il fallait annuler, car la colère bien sentie parmi les autochtones ferait en sorte d’en décourager plus d’un de venir ou revenir au Cap-de-la-Madeleine. Mais l’équipe a fait le choix de rester dans le mouvement de l’esprit de la rencontre et de la réconciliation. Gardant le cap sur la vérité, ils ont même choisi d’ajouter un atelier avec une question: «après la lettre des évêques, où l’Esprit nous conduit-il?»
Transparence oblate
Parlons tout d’abord du «bon dieu de la Romaine», dont les exactions font désormais l’objet de dénonciations qui s’accumulent et qui témoignent de la profonde perversion de cet homme. Lors de son allocution, Luc Tardif, supérieur provincial des Oblats, a déclaré: «L’affaire Joveneau et la commission d’enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues nous ont rappelé à quel point notre passé même récent est parfois ténébreux. Heureusement, des victimes ont le courage de s’exprimer et de se manifester.» Poursuivant, il a ajouté: «Les oblats ont fait et refont chaque jour l’option de la vérité, de la justice et de la compassion, dans cette affaire comme dans les autres. Il n’y a plus de place pour le silence, la complicité ou l’inaction: nous devons agir.»
Les oblats, en choisissant de se laisser confronter par les autochtones qui viendraient au sanctuaire marial, ont, à travers les mots du père Tardif, rappelé que le temps est à la vérité pour «que l’horizon ultime soit la guérison et la réconciliation».
Un évêque pour écouter…
Non sans un certain courage, Mgr Marc Pelchat, évêque auxiliaire de Québec, s’était invité au cercle de parole portant sur la lettre de ses confrères de la CECC. À ma grande surprise, il n’a pas tardé à exprimer sa honte face à ce désastre de communication. Selon lui, la conversation entre évêques n’est pas terminée. Cette lettre n’a pas fait l’objet d’un consensus et semble avoir été publiée hâtivement en vue de répondre aux pressions exercées par le gouvernement Trudeau pour que le pape François vienne présenter les excuses de l’Église catholique tel que le demande la recommandation #58 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation. La prière humble et l’écoute de Mgr Pelchat ont visiblement touché les personnes autochtones présentes dans le cercle.
Ce sont elles qui m’ont surtout marqué lorsqu’est venu leur tour de parler. Elles témoignaient sereinement: l’une des sévices subis, l’autre de la séparation forcée de ses parents, un autre encore des séquelles vécues, dont l’alcoolisme destructeur.
J’ai été écorché de nouveau par des récits profondément troublants, comme celui-ci : «Le prêtre, c’était le bon Dieu! Mes parents nous frappaient quand on leur disait que le prêtre nous touchait, parce que pour eux c’était impossible qu’il fasse cela. Il a fallu pardonner à nos parents aussi!»
Laurette, une innue particulièrement éloquente, a eu ces mots conduisant à une forte introspection: «Au pensionnat, le plus douloureux était d’avoir honte de moi et de mes parents, de la vérité que je porte.»
Pour cette grand-mère, «Dieu est un Père avec un cœur de mère.» Elle reproche aux évêques d’avoir écrit avec un cœur de père: « ils ont manqué de mères pour écrire cette lettre.»
Par la suite, elle a raconté combien le pardon avait été un chemin de guérison pour elle-même et pour sa famille. Un témoignage qu’il fallait entendre, et qu’au moins un évêque l’entende…
Pour Pauline, une attikamekw qui a fréquenté le pensionnat pendant 4 ans, un même besoin d’être entendue. «J’ai été abusée, je suis devenue craintive, éloignée de l’Église.» Après avoir reçu des années plus tard la certitude intérieure que «le Seigneur était avec elle» en tout ce qu’elle a vécu, elle pouvait déclarer: «J’ai eu une guérison du cœur, le pardon m’a rendue libre.»
«Où l’Esprit nous conduit-il ?»
Comme je l’avais anticipé, la participation autochtone a été largement réduite entre la première et la seconde rencontre. Est-ce un signe de découragement, de ressentiment?
Nul ne peut reprocher aux membres des Premières Nations leur désistement quand, d’un côté, ils veulent avancer vers le pardon et que, de l’autre, des révélations dégoûtantes ou des réponses maladroites semblent endiguer toute avancée possible.
Je prends acte cependant des petits pas qui sont réalisés lors de ces rencontres.
Permettre à des autochtones et à des allochtones de vivre ces temps de rassemblement, ces expériences en petits groupes, ces célébrations qui honorent les riches traditions spirituelles qui se croisent – quitte à provoquer certains déplacements – tout cela est à même de semer de «petites graines de moutarde capables et susceptibles de devenir de grands arbres», comme l’a souhaité Luc Tardif.
Pour l’heure, il est bien difficile de voir de véritables traces de réconciliation institutionnelle. Si les excuses du pape François sont ardemment appelées de toutes parts, l’attente ne doit pas être vide. Au contraire, elle doit être remplie de tous les efforts possibles, à tous les niveaux et dans tous les milieux où se côtoient des «Blancs» et des «Indiens», afin d’opérer le travail de la vérité qui, seule, peut mener à la guérison libératrice. Pour cela, l’Esprit est le seul allié de toutes les parties. C’est lui qui me pousse à espérer à nouveau.