Le tout premier Sommet sur la protection des mineurs s’est terminé ce dimanche au Vatican dans une sorte de confusion médiatique. D’un côté, on applaudit les discours et prises de position de la part des différents interlocuteurs, dont le pape François. De l’autre, surtout du côté des victimes, on entend une insatisfaction qui va jusqu’à la désapprobation franche et ouverte. L’Église veut changer, l’Église doit changer. Mais jusqu’où acceptera-t-elle d’aller au juste?
Question de point de vue
Il va de soi que l’appareil institutionnel, après avoir encaissé le choc de la convocation inusitée de ce sommet, s’est vite ajusté pour se mettre en phase avec les objectifs du souverain pontife.
Ainsi les discours, et surtout leurs présentateurs, avaient été sélectionnés avec soin. Les thématiques abordées (responsabilité, reddition de compte, transparence), quelques témoignages de victimes (la plupart préenregistrés), une certaine diversité, notamment avec trois femmes dont les exposés ont fait vibrer Rome, une cérémonie pénitentielle bien orchestrée et, bien sûr, la parole du pape, devaient permettre à la planète catho de se voir rassurée sur la détermination des hautes autorités ecclésiales à éradiquer le mal de la pédophilie de son sein.
Mais plusieurs victimes restent sur leur faim.
Recours à des métaphores douteuses
La veille même du sommet, le pape François troublait les victimes quand il affirmait: «Et ceux qui passent leur vie à accuser, accuser, accuser, sont […] les amis, les cousins, la famille du diable.» À qui s’adressait ce jugement? Personne n’a su le dire avec certitude, d’où le sentiment d’indignation des victimes. On a pu lire ça et là des billets prenant position en leur faveur, y compris du dominicain Philippe Lefebvre.
Lors de son discours de clôture, le pape a utilisé deux autres images fortes. En attribuant à Satan la faute de tous ces désordres dans l’Église, il prêtait le flanc à être accusé de déresponsabiliser les prêtres pédophiles, devenant eux-mêmes des victimes du manipulateur par excellence. En poursuivant avec l’image des sacrifices humains des rites païens, il a pu donner l’impression que le langage sacrificiel pouvait mieux expliquer les agressions que celui de la justice. Plutôt que d’user de termes aussi connotés, il aurait pu simplement en rester au langage juridique.
Une attente légitime
«Le peuple de Dieu dans toutes ses composantes», pour reprendre l’expression de François, attend de la part de ses responsables qu’ils agissent selon leurs dires et qu’ils aillent jusqu’au bout dans leur engagement auprès des victimes. Et pour cela, peut-être vaudrait-il mieux déjà les intégrer aux processus plutôt que de les considérer comme un groupe hostile et insatiable.
En effet, si les évêques et leurs conférences épiscopales ont pour la plupart commencé leur devoir en élaborant des directives sur le traitement des plaintes, l’écoute des victimes et les sanctions à apporter, cela ne règle en rien le passé et ne garantit pas leur application à l’avenir.
Nous sommes mis devant beaucoup de paroles, des textes détaillés, mais peu d’action. C’est peut-être à ce niveau de responsabilité que les évêques seront un peu confus. Habitués à agir selon une ligne descendante, tout en étant, sur papier du moins, «maîtres chez eux» en ces matières, ils ne peuvent réviser à eux seuls le code de droit canonique! Difficile aussi d’appliquer sans les adapter les règles qui seront décrétées unilatéralement par le Saint-Siège, tous les diocèses n’ayant pas les ressources adéquates pour les mettre en œuvre.
Un enjeu de gouvernance
Cela pose autrement la question de la gouvernance ecclésiale qui repose encore et toujours sur une observance scrupuleuse de la hiérarchie. La culture de la discrétion voire du secret risque de se maintenir encore longtemps, car il est difficile de l’éradiquer sans ébranler tout l’édifice sur lequel repose le pouvoir.
Tandis qu’on anticipe à Rome les prochains synodes des évêques et qu’on affecte des équipes conséquentes à leurs préparations, qu’on consulte le plus largement possible et qu’on prévoit les tenir sur un mois complet, que seront publiées de nouvelles exhortations apostoliques d’une centaine de pages sur ces sujets qui prêtent bien moins à la polémique que celui des abus, ce thème des agressions sexuelles sur mineurs n’aura fait l’objet que d’un sommet de quatre jours avec des participants qui n’avaient aucun autre pouvoir, à titre de présidents de leur conférence épiscopale nationale, que celui d’écouter et de transmettre.
Face à une crise de crédibilité sans précédent qui a permis de révéler une culture du viol plus que séculaire, que pouvait-on espérer d’un exercice qui n’aura qu’effleuré les causes profondes de ces exactions?
Le cléricalisme est à la source des abus de pouvoir. La sacralisation du prêtre en est la manifestation. Nous sommes placés devant un problème qui touche à l’ontologie sacerdotale: n’est-ce pas plutôt ceux parmi ces hommes qui sont imbus de leur statut que l’on devrait pointer comme les réels successeurs des antiques rites païens?
Tant que l’Église n’abordera pas de manière radicale cette idéologie dénoncée dans les évangiles, le cri des victimes d’abus passées et présentes demeurera pour elle un signe de contradiction affectant l’authenticité de la Bonne nouvelle qu’elle est chargée d’annoncer.
***