Benoît Lacroix fait partie de mon quotidien. Nous nous croisons chez les frères dominicains et nous nous arrêtons parfois un instant pour échanger quelques mots. Je me dis souvent qu’il est plus ouvert et avant-gardiste que bien des générations nées après lui.
Je l’ai croisé la veille de son anniversaire. J’avais envie d’entendre celui que je considère comme mon arrière-grand-père spirituel me parler de sa vie. De la vie.
– Dis-moi Benoît, qu’est-ce qui te fait le plus mal, quand tu regardes le monde?
– La souffrance des enfants et des jeunes. Je sais où est l’avenir : chez les jeunes.
Il parle sans ambages, d’une parole claire.
– Mais lorsqu’on brise leurs rêves, poursuit-il, lorsqu’on les empêche de réaliser leur potentiel, ça me peine. Quand c’est cher d’étudier, quand on est presqu’obligé d’être millionnaire pour vivre… On est dans une société basée sur l’argent et sur l’acquisition des compétences.
Carré rouge sur habit blanc ? Sa vision de l’éducation dépasse les seules compétences. Il parle des jeunes comme des arbres : leurs racines sont dans l‘apprentissage et dans le goût d’étudier. Il évoque des étudiants d’ici et d’ailleurs qui vivent pauvrement. Il leur souhaite « la liberté d’étudier sans vérifier leur budget chaque jour, la liberté de se payer un billet de théâtre » pour rêver au-delà de la compétence et du marché.
Un siècle de foi et de sagesse
Et sa foi, en un siècle, comment a-t-elle évolué ? « Ma foi a changé à partir des misères de l’Église catholique. J’ai connu l’Église triomphante, on avait le dernier mot et on était certain de l’avoir. Puis j’ai vécu dans l’Église des échecs publics. Les scandales de pédophilie, je les ai vécus durement comme prêtre. Les gens ne te croient plus. »
Il admet que l’Église est parfois difficile à aimer mais souvent jugée défavorablement, aussi.
Une révélation dans sa foi ? « La liberté de conscience proclamée par Vatican II. » On est loin des conservatismes et intégrismes qui font un retour. « Ceux qui reviennent à la religion ont besoin de sécurité, mais on donne une importance démesurée à la loi. »
À quoi donner de l’importance, alors ? « Il faut rejoindre les gens par l’art, la beauté, la pensée, les réflexions. L’art est rassembleur. » Et accompagner les gens dans l’essentiel de la vie : les mariages, les naissances et baptêmes : ses plus grands bonheurs comme prêtre.
Aurait-il pu être aigri, à 100 ans ?
« J’ai eu des raisons d’être aigri : la trahison, les échecs, ma propre conduite. Mais j’ai été élevé avec la pratique du pardon. Ça enlève l’aigreur. Tu fais face au mal, tu intègres ton épreuve et ton échec. »
« Je parle souvent de se pardonner, il faut s’aimer personnellement. Aimez-vous d’abord. J’ai tellement reçu que je ne peux pas être déçu. Ça vient de mon éducation dans un milieu pauvre. On n’avait rien mais on ne manquait de rien. »
« Je suis surpris qu’on est obligé de revenir aux choses simples : le bonheur, l’amour-propre. Je vois ces filles qui ne se sentent pas belles parce qu’elles ne sont pas taillées à la manière de Hollywood. C’est tragique. »
Puis, il ajoute du même souffle : « J’aime voir les vieilles sœurs, c’est émouvant. Elles ont vécu dans la répétition, la routine, et c’est là-dedans qu’elles se sont libérées et identifiées. »
– Benoît…et la mort ? As-tu peur de souffrir ?
– La mort est une autre étape. J’ai tellement accompagné de gens. Ils résistaient. Puis tout d’un coup ils sont prêts. Peur de souffrir ? Oui. J’ai peur des dentistes, de la souffrance physique. Je suis un bébé. La souffrance m’énerve. Je suis toujours ému quand je pense combien le Christ en a arraché. Il voulait fuir d’ailleurs. Et il est allé au bout, pour nous. C’est de l’amour. Ma mort, je l’ai déjà offerte.
– Es-tu heureux ?
– Je suis heureux. Mes jambes cèdent. Mes forces diminuent. C’est la nature, la vie. J’accepte de diminuer.
Silence.
Il me demande quels sont nos projets d’animation au Centre étudiant Benoît-Lacroix auprès des jeunes, cette année. Il pense tout haut et lance des idées. « L’Église devrait se servir du silence. De 12 h à 13 h, méditation ou prière silencieuse, dans l’église, ça pourrait attirer… qu’en penses-tu ? »
Cher Benoît. À 100 ans tu prépares encore l’avenir. Il est bon que tu existes.