Mon plus jeune fils me demande souvent, à propos de ce qu’il fait ou observe: «est-ce un record du monde, papa?» Comme bien de nos contemporains, il a besoin de mesurer la valeur des performances pour leur accorder l’attention qu’elles méritent.
Depuis toujours, les représentants des grandes religions témoignent à leur manière d’un mécanisme semblable à propos des persécutions religieuses. C’est comme si, à l’image de ce qui se passe dans le sport de compétition, il existait un besoin impérieux d’établir une hiérarchie des champions et des perdants.
Notre époque aurait-elle atteint un sommet en matière de persécution religieuse? Les attentats dans deux églises coptes en Égypte, en plein dimanche des Rameaux, ont rappelé aux chrétiens qu’ils demeurent les plus persécutés dans le monde. Il y a quelques années, Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde notait que jusqu’à 200 millions de chrétiens étaient discriminés dans près de 140 pays, faisant du christianisme la religion la plus persécutée au monde, une réalité que de nouveaux rapports confirment chaque année. Voilà pour les «champions» du supplice!
Malheureusement, il n’existe pas d’époque sans persécution religieuse. Il suffit de revoir l’histoire de l’humanité pour se rendre compte qu’elle en fait partie intégrante.
Les Égyptiens ont asservi les Hébreux qui, ensuite, ont massacré les adeptes de Baal; les Perses ont fait de même avec les descendants des Israélites; les Romains, panthéistes, ont crucifié les chrétiens; le christianisme établi comme religion de l’Occident s’en est pris aux Sarrasins et, par la colonisation, aux peuples indigènes des Amériques, de l’Océanie et de l’Afrique, anéantissant leurs religions ancestrales. Et n’oublions pas les factions internes à chaque religion, chrétiens contre chrétiens, musulmans contre musulmans, etc.
Ce n’est donc pas pour rien que la liberté de religion fut inscrite comme l’un des quatre droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948. Malgré cela, la persécution religieuse ne cesse de battre de nouveaux records.
Mais à vouloir explorer le pire de l’humanité, force est d’admettre que la persécution des croyants n’est qu’un aspect de la commotion qui affecte l’esprit humain partout sur Terre. Au XXe siècle, la mort et la violence ont atteint des sommets, entre guerres et génocides. L’horreur de l’Holocauste et de ses six millions de victimes juives traversera les siècles.
Et nous voici dans un nouveau siècle qui ne cesse de trouver de nouveaux défis à la conscience morale par ses enjeux aux conséquences funestes: destruction de l’environnement, implosion économique, migrations, terrorisme, éventualité d’une guerre nucléaire… Nous sommes en droit de nous demander s’il y a encore une marche plus élevée à la folie humaine.
Mais est-ce bien ainsi qu’il faut chercher à «mesurer la valeur» de notre monde?
L’urgence n’est plus de désigner les champions de la persécution subie ou imposée, mais plutôt de développer des champions du dialogue et de la rencontre citoyenne qui reconnaissent et encouragent la diversité religieuse pour sa capacité à extirper les adeptes de toutes les religions des spirales destructrices.
C’est peut-être ainsi que, peu à peu, les persécuteurs de tout acabit, aux performances déclassées par les nouvelles valeurs, réaliseront enfin les avantages à s’ouvrir pour faire place à la différence. Dans nos arénas métaphoriques, les champions n’auront plus à être mesurés sur l’échelle de la violence et de l’intolérance: la confrontation nouvelle mettra aux prises les valeurs qui construisent plutôt que détruisent.
Pour cela, les gérants d’estrade ne pourront rester sur le banc, comme lors d’un célèbre Vendredi saint, car c’est par la rencontre authentique, sur la surface de jeu, et donc au cœur de notre humanité commune, que toutes les richesses du monde se donneront mutuellement à savourer, dans une victoire sans perdant.