Voilà deux semaines que le Québec a les yeux rivés sur le Christ en croix. Une seule plainte auprès d’un établissement séculier – plainte qui aurait pu être gérée en silence – a tôt fait de cristalliser encore une fois tous les maux et toutes les doléances de notre collectivité. Laïcité, identité, passé catholique dilué en patrimoine, hantise de l’Église transmise dans l’ADN, immigrants-boucs émissaires de nos peurs de l’altérité, «valeurs québécoises» éternellement sur la planche à dessin… J’ai décroché en même temps que le crucifix.
Et n’allez pas croire que je me réjouis du raccrochage du crucifix dans l’entrée de l’Hôpital du Saint-Sacrement, à Québec. Quelle est cette victoire dont il faudrait se réjouir? Victoire d’une vague défense de notre patrimoine, dans un sursaut de bon sentiment envers l’Église qui a éduqué et soigné des générations entières? Victoire des catholiques dévoués à une nouvelle évangélisation de notre Belle Province ou espérant un nostalgique retour de la chrétienté? Au moment où débutait le carême, ce pauvre crucifix a vraiment été un instrument de torture collective.
Le vrai symbole
De grâce, ne parlons plus du crucifix. Parlons plutôt de celui-dont-on-n’a-pas-prononcé-le-nom et qui gît sur sa croix: Jésus. Homme de Nazareth, que ses proches ont reconnu comme le Messie, le Christ. Si l’on tient à garder un crucifix en un lieu public, aussi bien parler de ce qu’il représente vraiment: une condamnation à mort. Dans le cas de Jésus, la peine capitale pour avoir dérangé le pouvoir politique de son époque, en prêchant un Royaume inattendu pour les pauvres, un pardon pour les détenus, une guérison pour les intouchables, une sagesse qui transcende des élites religieuses.
Dans tout ce branle-bas de combat pour remettre un crucifix sur un mur, on a oublié que le symbole ultime et fondateur du christianisme n’est pas la croix, mais bien le tombeau vide. Ce n’est pas le crucifié qui importe, c’est le ressuscité qui l’emporte. Insaisissable présence dans l’absence, le ressuscité nous laisse face à nous-mêmes. Face au vide et au silence.
La vie chrétienne n’a de sens que si elle s’exerce à faire le vide, c’est-à-dire à éliminer tout ce qui continue de clouer des femmes, des hommes, des enfants, notre planète et ses êtres vivants sur les croix de la pauvreté, de l’exclusion, du racisme, de l’intolérance, du capitalisme outrancier…
Remettez vos crucifix sur les murs si vous voulez. Mais ne restez pas là à les fixer. La vie est ailleurs. Et si, comme l’affirment les chrétiens, Dieu s’est fait humain parmi nous, c’est sans doute pour nous souffler que le travail chrétien est avant tout un travail d’humanité. À ce titre, le véritable patrimoine des Sœurs de la Charité (qui ont longtemps administré cet hôpital) et du christianisme, en réalité, ne tient pas à ce qu’on placarde entre deux ascenseurs. L’essence de la foi est la reconnaissance du Christ en l’autre, au nom de qui se vit l’engagement pour re-susciter la vie partout où elle est mise à mal.
Mis à jour à 10 h 00 le 8 mars 2017.