Décentraliser l’Église. Le pape François a surpris un peu tout le monde en évoquant cette idée samedi dernier lors de la célébration du 50e anniversaire de la réintroduction des synodes.
L’Église s’est définie elle-même à la suite d’un long développement qui a cristallisé sa structure hiérarchique en forme de pyramide. Au fil des siècles, la base est devenue une masse de fidèles à qui il ne resterait qu’à recevoir un enseignement et à accomplir une pratique uniformisée.
Mais avec le Synode sur la famille qui se déroule présentement à Rome, l’Église redécouvre la synodalité. Celle-ci entraîne une culture du discernement qui implique tous les niveaux de responsabilité, à partir du baptisé, lui-même engagé dans son Église locale.
Le discours de François samedi venait revaloriser cette approche.
Le pape affirme, comme le concile Vatican II l’avait souhaité, qu’il faut décentraliser l’Église, car les problèmes et les solutions peuvent différer d’une région ou d’un pays à un autre. François renforce sa démonstration en lâchant: «Vraiment, le chemin de la synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire».
Après les réaffirmations fortes du pouvoir central personnifié par la papauté, François n’est-il pas en train de mettre un grain de sable dans cet engrenage réputé indémontable?
Qui dit synodalité dit apport des fidèles
La synodalité prend appui sur un principe théologique reconnu par la tradition: le sensus fidei, c’est à dire le «flair» des fidèles, une sorte de sixième sens pour l’orienter dans sa quête spirituelle et pour l’aider à faire des choix en accord avec sa vie de foi.
Si on rassemble une multitude de fidèles, on devrait – théoriquement – pouvoir disposer d’une sagesse collective qui permettrait de mieux cerner les grandes questions morales et spirituelles propres à chaque époque et à chaque région. À partir de ces vastes consultations réalisées dans la prière et l’écoute attentive de la Parole de Dieu, l’enseignement du magistère pourrait gagner en proximité avec le vécu du peuple et en un sens pastoral plus aiguisé.
Bien sûr, il ne s’agit pas de consultation démocratique, ni de votes à la majorité, mais bien de discernement spirituel. La qualité de l’écoute est requise de tous les niveaux et elle commence dans l’Église locale, par ses différents conseils jusqu’au synode diocésain, «en partant des gens, des problèmes de tous les jours», selon le pape qui ajoute «la nécessité et l’urgence de penser à une conversion de la papauté ».
Inverser l’histoire récente
Ce discours et cette approche pastorale ont de quoi étonner quand ils sont le fait du pape lui-même. Car bien qu’ils n’aient que 50 ans dans leur formule actuelle, les synodes romains n’étaient devenus, avant 2014 et 2015, que des assemblées dont les orientations étaient déjà, pour l’essentiel, dictées d’avance par la curie, le pape n’ayant plus qu’à en publier les conclusions dans une exhortation post-synodale.
L’ouverture contrastée du pape François s’est manifestée concrètement par une consultation très vaste auprès des fidèles et des évêques locaux avant le synode actuel. Celui-ci paraît soudainement un véritable lieu de discussions franches et d’expression plus libre. C’est ce qui permet à l’évêque d’Anvers de souhaiter «que le synode reconnaisse aux évêques locaux l’espace d’action et la responsabilité nécessaires à formuler dans la portion du peuple de Dieu qui leur est confiée, des réponses adéquates aux questions pastorales». Dans la même veine, Mgr Paul-André Durocher, archevêque de Gatineau et délégué au synode, s’interroge: «Peut-on fixer les grands principes dans un texte universel et laisser la place à des déclinaisons locales ?»
Prudence avec les synodes locaux
Des expériences synodales locales ont eu lieu à Montréal et à Québec au cours des dernières décennies. Malgré l’enthousiasme, les résultats avaient déçu un certain nombre de participants, car plusieurs propositions avaient été modifiées ou ignorées.
On l’a vu au Québec: l’exercice synodal n’est pas forcément un chemin facile à emprunter. Aujourd’hui, de nombreuses prises de positions divergentes surgiraient d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, et le rôle d’arbitre de l’évêque de Rome s’en trouverait davantage sollicité.
Je serai le premier à applaudir une conversion synodale de toute la structure de l’Église, y compris de la papauté. Mais je sais que cette voie produira davantage de divisions et une communion beaucoup plus fragile.
Mais c’est peut-être le risque à prendre pour retrouver, ici au moins, une Église à l’écoute et de nouveau crédible: elle marcherait encore plus près de ses fidèles afin de faire entendre ses joies et ses peines, ses angoisses et ses espoirs, jusqu’à Rome.