Ainsi, 52 partenaires de l’organisme catholique canadien Développement et Paix (DP) ont été identifiés par le personnel de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) comme ne respectant pas les enseignements sociaux de l’Église. Il s’agit du quart de tous les partenaires de l’organisme de développement international.
La contre-analyse détaillée effectuée récemment par les professionnels de DP ramène ce nombre à quatre partenaires pour lesquels il conviendrait d’effectuer «une vérification ultérieure», ce qui ne signifie pas qu’ils seraient exclus, et un qui poserait effectivement problème.
Ainsi, pour à peine 3% des partenaires de DP sur lesquels reposent certains doutes, 12 diocèses de l’Ontario et des provinces de l’Ouest, ont retenu au printemps dernier la totalité des sommes amassées pendant la campagne du Carême 2018. Ces montants totalisent deux millions de dollars. DP a affirmé qu’il ne verserait rien aux 52 partenaires validés tant que les évêques ne lui en donneraient pas le feu vert.
Inutile de dire à quel point le retard ou, pire, le retrait de ces sommes peut affecter la viabilité de projets qui, pour la majorité, sont orientés vers l’habilitation de femmes qui prennent à bras le corps le développement de leur communauté.
Le prix de la suspicion
Pour les contradicteurs de DP, cette rétention de sommes colossales constitue une victoire que je n’hésite pas à qualifier de petite et sordide. De tels courants traditionnalistes et intégristes ne cessent de chercher des poux dans les différentes œuvres de l’Église catholique pour s’empresser de dénoncer toute apparence d’irrégularités par rapport à son enseignement moral. Les évêques n’ont même plus besoin de jouer leur rôle de «surveillants» (épiscopes) puisque d’autres à leur place s’érigent en gardiens du temple avec un plaisir suspect.
Pour ces gens, il n’existe aucune cause sociale plus urgente que le combat qu’ils mènent contre la contraception, incluant le condom, et l’avortement. Cela constitue une compréhension étriquée de l’enseignement social de l’Église, car tous les documents magistériels sur le sujet depuis plus de cent ans ne cessent d’interpeller les chrétiens à leurs devoirs de solidarité avec le monde. Rappelons que l’option préférentielle pour les pauvres et la solidarité active envers les victimes d’oppression et d’injustice est devenue une position centrale des papes depuis Vatican II.
Développement et Paix est un joyau créé il y a 50 ans par des évêques inspirés à l’époque par le vent nouveau du Concile. Certains de leurs successeurs semblent se montrer plus enclins à écouter les voix des lobbys conservateurs qu’à poursuivre la mise en œuvre d’une «Église en sortie» auprès des plus pauvres, d’autant que les méthodes utilisées par les quatre employés de la CECC pour la collecte de données sur les partenaires témoignent d’un manque sérieux de rigueur et de conclusions sans fondement.
Ce nouvel épisode, qui dure depuis avril 2018, ne semble pas encore, malgré l’étude approfondie des partenaires, sur la voie d’un débouché satisfaisant. C’est comme si les évêques résistants avaient plus à cœur de se montrer à la hauteur des attentes morales des courants intégristes que d’exercer leur rôle pastoral dans l’esprit des Béatitudes.
L’impact de cette suspicion à l’égard de DP et de ses professionnels s’est déjà fait sentir au sein des donateurs. Certains ont annoncé qu’ils transféraient leur soutien à d’autres organismes de coopération internationale qui ne se contentent pas de faire la charité. Des membres de longue date de DP ont annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils se retiraient de l’organisme. Les dégâts sont réels et peuvent porter préjudice non seulement à DP, mais surtout aux organisations locales qui comptent sur la générosité des donateurs canadiens pour assurer leur mission essentielle.
Des brèches d’espoir
Si l’action des 12 évêques était si déterminée, elle serait demeurée intacte depuis le début. Mais il semblerait que certains parmi eux aient discrètement acheminé à DP tout ou une partie des sommes amassés. Est-ce un signe que ces évêques eux-mêmes ne voient plus de réelles raisons d’accuser DP?
Cela ne semble pas être le cas puisque les évêques – notamment à Winnipeg et Saskatoon – ont écrit avoir exigé que l’argent de leurs diocésains ne serait pas affecté à l’un ou l’autre des 52 partenaires.
Chose certaine, les évêques qui contestent les choix de partenaires de DP demeurent largement minoritaires au sein de la CECC. Cela ne les empêche pas d’exercer une pression qui devient insoutenable à l’encontre des professionnels de l’organisme dont plusieurs ont choisi de partir au cours des dernières années pour des raisons évidentes.
S’il y a un lieu où la collégialité épiscopale devrait parfois permettre d’infléchir certaines opinions de pairs fondées sur l’ignorance ou sur des allégations mal fondées, c’est bien au sein d’une conférence nationale d’évêques. Évaluer les pratiques d’un organisme comme DP est un exercice sain. Se soucier des plus faibles est au cœur de l’Évangile. Sans doute faudrait-il mettre ce souci et cette énergie dans un travail rigoureux et ne pas se contenter de ce qui a toutes les apparences d’une enquête superficielle et bâclée. Car pour servir la vie, il faut aussi savoir servir la vérité.
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