Le pape François a annoncé dans sa lettre apostolique concluant l’Année de la miséricorde qu’il prolongeait indéfiniment l’autorisation pour tous les prêtres d’accorder l’absolution aux femmes confessant avoir eu recours à l’avortement. La chose était possible pour les évêques et certains confesseurs désignés, mais il n’en fallait pas plus pour que des catholiques y voient une fissure dans l’édifice légal et moral de l’Église.
Le message de François est particulièrement clair: «Je voudrais redire de toutes mes forces que l’avortement est un péché grave, parce qu’il met fin à une vie innocente. Cependant, je peux et je dois affirmer avec la même force qu’il n’existe aucun péché que ne puisse rejoindre et détruire la miséricorde de Dieu quand elle trouve un cœur contrit qui demande à être réconcilié avec le Père.»
L’Église ne change rien à son enseignement moral sur le péché d’avortement.
Cependant, alors que nous entendons et lisons surtout des condamnations sans nuance dans certains médias catholiques ou sur les sites pro-vie, y compris parfois de la bouche de certains évêques, l’insistance sur la primauté du désir divin d’accueillir toute personne ayant conscience d’avoir péché marque un autre changement important dans le ton.
Il y a toutes sortes de causes menant à l’avortement. Il y a aussi des formes d’avortement qui sont plus graves que d’autres, même si le résultat est toujours le même, à savoir la mort du fœtus. Dans tous les cas, le choix d’interrompre la grossesse est un dilemme éthique qui peut laisser des traces dans la conscience des personnes concernées. Le changement de ton du pape et, souhaitons-le, de toute l’Église, peut conduire les personnes intervenant en son nom à voir aussi ces femmes ayant subi l’avortement comme des personnes à aimer, à accompagner, à qui offrir une libération spirituelle.
Ceci est d’augure à permettre le début d’un dialogue avec les cultures où l’avortement est légalisé, allant jusqu’à être reconnu comme un droit fondamental des femmes que certains États sont encouragés à inscrire dans des chartes. Il serait opportun que ce dialogue, s’il est encore possible, intègre davantage la parole des femmes, et plus encore, parmi elles, certaines qui peuvent témoigner de leur propre lutte avec le choix à faire lorsque les conditions n’étaient pas favorables, qu’elles aient opté ou non pour l’interruption de la gestation.
Au Canada, depuis le jugement de la Cour suprême en 1988 qui rendait inconstitutionnelle la loi sur l’avortement, toute forme de discussion sur le sujet est devenue pratiquement impossible. Un grand pan de la société s’oppose à tout débat sur cette question. Il semble pourtant qu’il faudrait pouvoir considérer l’ensemble de la question sous des angles variés, pas seulement en nous figeant sur l’improductive polarisation «pour ou contre».
Car on peut trouver chez les pro-choix des gens désireux de mettre des balises. Et même chez les pro-vie. Assurer un début de droit à l’enfant, par exemple en fixant une limite raisonnable au cours de la grossesse, serait déjà quelque chose de préférable à l’absence totale de balises légales dans laquelle nous nous trouvons.
Un changement de ton pourrait susciter un renversement d’attitude chez des opposants enfermés dans leurs points de vue. À partir du moment où l’Église affirme la primauté du pardon – y compris sur des péchés qu’elle a toujours jugés parmi les plus graves – peut-être aura-t-elle une chance de regarder avec plus de compassion ces femmes en aidant l’une ou l’autre «à se tourner vers l’avenir avec espérance et à être prête à se remettre en route».
Comme l’a écrit Leonard Cohen: «Il y a une fissure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière». Alors qui sait, pourrait-on entrevoir un moment où l’Église retrouverait une place dans la réflexion sociétale sur un phénomène qui est loin, somme toute, d’être banal?