Toute l’Église catholique se tournera bientôt vers Rome alors qu’un sommet d’évêques et d’experts convoqués par le pape François traitera de la pire crise morale et pastorale à la secouer à notre époque. Scandale dans les pays occidentaux, la pédophilie ne suscite toutefois pas autant d’indignation dans d’autres cultures. L’Église pourra-t-elle convenir de réformes propres à renouveler non seulement le clergé mais aussi son pouvoir hiérarchique?
Rares sont les institutions exemptes d’abus sexuels; au contraire, on en trouve jusque dans la police ou l’armée. Mais l’agression d’enfants, déjà révoltante, l’est encore plus quand elle survient, par exemple, dans un pensionnat ou un orphelinat. Les institutions ont aussi tendance à préserver leur image, même aux dépens de gens confiés à leur garde. Comment une Église ayant délaissé les victimes et protégé les abuseurs pourrait-elle survivre?
Quand il devint impossible d’occulter le problème, des membres de la hiérarchie attribuèrent le scandale aux «médias» sinon «aux ennemis de l‘Église». Puis, ne pouvant plus nier cette inconduite, les uns blâmèrent la «société moderne», d’autres parlèrent de failles dans le recrutement du clergé, ou du «fardeau du ministère». Mais d’un pays catholique à un autre, procès et enquêtes mirent finalement en cause jusqu’à la haute hiérarchie.
Jean-Paul II avait obligé les évêques à porter ces affaires à Rome, mais lui-même n’avait guère pris la mesure de cette tragédie. Benoît XVI, conscient de la situation, s’engagea alors dans un effort disciplinaire sans précédent. Un tribunal du Vatican fut tôt submergé de procès, compliquant les tâches de réparation dévolues aux évêques. Au reste, comment ceux-ci veilleraient-ils aux victimes, certains d’entre eux ayant dissimulé des abuseurs?
Depuis, François fait de la protection des mineurs une priorité, non seulement pour les évêques mais pour toute l’Église. Il tient les agressions d’enfants pour une «abomination», un péché grave dans l’Église mais aussi un crime dans la société. Il demande aux diocèses de déclarer ces délinquants à la justice. Il exhorte les fautifs à se convertir. Bien plus, il blâme le pouvoir religieux, son autorité et son style de vie pour s’être éloigné de la mission évangélique.
Un problème ancien
Pourtant la pédophilie n’est pas un problème moderne ou réservé à quelques sociétés. On s’étonnera que l’Église contemporaine en ait ignoré le caractère universel. Et surtout les efforts des Églises des siècles passés pour y faire face. En l’an 309 le Concile d’Elvire impose jusqu’à dix ans de jeûne au prêtre fautif. Plus tard Basile de Césarée prévoit une flagellation publique, un internement de six mois, et l’interdiction à vie du contact avec les jeunes.
En 1049 le cardinal Pierre Damien tente en vain de sensibiliser Léon IX aux souffrances des victimes de confesseurs «couverts» par leurs supérieurs. Le Décret de Gratien de l’an 1140 frappe les prêtres coupables de «viol sexuel» des mêmes sanctions que les laïques, allant jusqu’à la peine de mort. En 1568, dans Horrendum Est, Pie V prive les abuseurs de leurs revenus, les chasse du clergé, laissant aux autorités civiles d’ajouter une peine supplémentaire.
Depuis la codification, en 1917, du crime d’abus sexuel d’un mineur «de moins de 16 ans», papes, évêques et prêtres auraient dû connaître les rudiments de la pédophilie. Les confesseurs entendant les aveux de fidèles repentants n’ignoraient pas non plus cette inconduite. Des prêtres et des moines ayant eux-mêmes été victimes dans leur enfance en portaient parfois encore les séquelles. L’institution ne pouvait plaider ignorance.
À vrai dire, des mesures ont été prises, tantôt volontairement, souvent par voie de justice, pour indemniser les victimes. Des abuseurs ou leurs protecteurs ont parfois été exclus de leurs fonctions ou même démis de tout pouvoir. Excuses aux victimes, traitement psychologique des abuseurs, révision de la formation cléricale, programmes d’action dans quelques pays, notamment aux États-Unis et au Canada, plusieurs réponses auront été adoptées ou mises à l’essai.
Après y avoir vu un désordre mental, des spécialistes concluent qu’il ne s’agit ni d’une maladie ou d’une infirmité attribuable au hasard de la vie. Ni d’une tare héréditaire. On peut néanmoins sinon guérir cette déviance, du moins la maîtriser. Des pédophiles reconnus parviennent à ne plus récidiver; d’autres, n’y ayant jamais cédé, avouent avoir besoin d’aide pour ne pas y succomber. Mais entre-temps l’Église en est encore aux remèdes religieux et judiciaires.
Les attentes d’un sommet
Quelle solution le sommet de Rome trouvera-il? Dans les garderies, les écoles, les clubs sportifs, la crainte d’infiltration pédophile incite à soumettre le personnel à des tests psychologiques et à des vérifications policières. Cette muraille ne va pas changer les «suspects». Quelques-uns passeront à travers le filet. D’autres iront sévir ailleurs. L’Église n’aurait-elle d’autre choix que de repousser les abuseurs au loin, dans une société qui ne sait trop qu’en faire?
Pourtant, une importante voie de prévention vient de s’ouvrir. Des chercheurs ont trouvé des anomalies au cerveau de pédophiles. Celles-ci se développeraient au premier trimestre de la grossesse, d’après James Cantor, un psychologue renommé cité à Radio-Canada. «Le stress maternel, la malnutrition, les conditions de vie difficile, tous ces facteurs, dit-il, influencent fortement la ‘soupe chimique’ dans laquelle le fœtus se développe.»
N’y a-t-il pas là une mission prometteuse pour l’Église?
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