Quel est le sens de Noël? En courant les boutiques à la dernière minute ou en enfournant la tourtière, la question nous habite vaguement, peut-être. Noël, est-ce des valeurs? Être en famille? Partager un peu plus généreusement que le reste de l’année?
Quelle portée subsiste de l’histoire de la nativité, de cette mystérieuse naissance à Bethléem qui continue d’être au calendrier? Est-ce que cette fille-mère supposément vierge est crédible? Est-ce que ce Joseph muet est une figure de paternité valable? Est-ce que ce bébé couché dans la paille va vraiment «sauver les hommes et les femmes de bonne volonté»?
À tant sacraliser la sainte famille, on en est venu à oublier que Marie aurait pu être répudiée, que Joseph a bûché pour une famille au seuil de la pauvreté, et que ce petit Jésus devenu grand a créé assez de scandale pour finir crucifié comme un vulgaire larron.
La crèche n’est que le début de l’album de famille, mais pour nous qui savons la fin de l’histoire, elle est le portrait en puissance du renversement des normes du monde. Si le concept du salut du monde est trop abstrait pour aujourd’hui, parlons plutôt de ce qui serait salutaire: un peu plus de pardon, de douceur, de générosité, d’équité, d’écoute; moins de préjugés, de discrimination, de violence, d’inégalités. Clichés? Oui. Besoins réels? Encore plus.
Je pense à Marie. Était-elle vraiment la jeune femme soumise et éthérée que le culte marial en a fait? Si Jésus est devenu un homme capable de déranger l’establishment, c’est sûrement un peu grâce à sa mère. Elle l’a poussé à incarner quelque chose de subversif. L’incarnation n’est pas qu’un Dieu qui prend chair humaine: c’est aussi un homme qui donne chair à une volonté qui n’est pas de ce monde.
Il y a quelque chose de puissant qui n’est pas raconté dans le récit de la Nativité. C’est la visite de Marie chez sa cousine Élisabeth, à qui Marie proclame son émerveillement et sa foi: «Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides» (Luc 1,50-53).
Voilà un programme salutaire. Mis au monde quelque part à Bethléem, dans les bras d’une mère, dans la tendresse de la berceuse. Dans un lieu discret où créchait l’espérance.
Noël, n’est-ce pas quelque chose d’intemporel et d’insaisissable, au-delà des traditions religieuses et culturelles? N’est-ce pas le rappel que toute naissance est sacrée et que mettre au monde un enfant est le meilleur pied de nez envers le mal et le désespoir?
Noël, n’est-ce pas l’occasion de se demander: quel monde allons-nous enfanter?