Débattue en chambre à Ottawa cette semaine, la motion M-103 de la députée libérale Iqra Khalid, de la circonscription de Mississauga-Erin Mills en Ontario, cause tout un émoi au Canada. Bien que déposée en décembre – bien avant la tuerie du 29 janvier à la grande mosquée de Québec – elle est devenue ces derniers jours le lieu d’affrontements politiques sur la notion d’islamophobie.
Les libéraux majoritaires y voient l’occasion de consolider leur électorat musulman. Les conservateurs la contestent dans un contexte de leur course à la chefferie. Les néodémocrates se posent en défenseurs de tous les groupes canadiens.
Lutter contre le «climat de haine et de peur»
Essentiellement, la motion, après avoir affirmé qu’un climat de haine et de peur s’installe au Canada, condamne l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse.
Si elle est adoptée, elle sera référée au Comité permanent du patrimoine pour étudier la question et faire des recommandations. Le Comité aura un délai de 240 jours pour présenter son rapport. En somme, une adoption aura un effet politique assuré, mais un effet réel inexistant pour au moins un an.
Dès lors, sous ses airs de gros bon sens, pourquoi cette motion fait-elle l’objet de tant de débats au Canada?
Parce qu’elle est mal ficelée, voilà tout.
Il faut en effet se demander si la pétition traduit une réalité propre uniquement à certaines régions canadiennes ou à l’ensemble du Canada. La députée Khalid se trouve dans la région de Toronto et semble marquée par le contexte social de la Ville Reine, où la moitié des résidents sont nés à l’extérieur du Canada et où, selon des données dévoilées l’an dernier par les policiers de Toronto, près de la moitié des crimes haineux y visent les musulmans et les juifs. Ajoutons à cela l’incendie d’une mosquée de Peterborough en novembre et l’arrestation d’un individu qui voulait mettre le feu à une mosquée à Hamilton en septembre, et nous voyons peut-être d’où viendrait le fameux climat de peur et de haine qu’elle perçoit dans la population.
Mais quelle population au juste? Ce n’est pas précisé. Quel type de peur au juste? Là encore, on nage en plein flou artistique.
Définir l’islamophobie
La motion condamne ensuite l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse. Elle s’appuie en partie sur la pétition e411. Or, l’élément clé de cette pétition – la condamnation de l’islamophobie qui se nourrit de craintes face à un intégrisme islamiste qui ne représente en rien l’islam – est absent de la motion.
Pourquoi cette omission?
C’est sans doute l’impossibilité de faire consensus pour définir l’extrémisme musulman qui, selon la pétition, offre un «prétexte pour une montée notable des sentiments antimusulmans au Canada».
Rappelons qu’en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les croyances se valent et une pensée bien qu’extrémiste est parfaitement légale dans une perspective religieuse tant qu’elle n’enfreint pas les dispositions du code criminel. Au Canada le seul critère est celui de la sincérité de la croyance, il n’y a pas de qualification supérieure accordée à l’importance d’un groupe.
Par ailleurs, tandis que le concept d’islamophobie n’apparaît qu’à la toute fin de la pétition, il est central dans la motion, mais sans pour autant être clairement défini.
On laisse ainsi planer un doute politiquement irresponsable sur ce qu’est réellement l’islamophobie. Les attaques contre les chiites sont-elles des actes islamophobes? S’élever contre l’égorgement des animaux sans étourdissement est-il islamophobe? Les caricatures du prophète sont-elles des actes islamophobes?
Les députés doivent donc débattre d’une motion au libellé furtif, dont trop de notions demeurent insaisissables. Les bons sentiments, certes louables, ne font pas nécessairement de bonnes politiques publiques. Des précisions s’imposent afin que les élus et la population puissent réellement juger si M-103 traduit ou non une réalité pancanadienne attestée et circonscrite.
En somme, dans son état actuel, on peut se demander si cette motion sert réellement le débat de société.
Dans un Canada post-29-janvier, le débat devrait pourtant avoir éclipsé le stade des imprécisions et maladresses parlementaires depuis belle lurette.