Des populations jusqu’alors à l’abri de la violence sectaires ont connu l’an passé de telles tragédies. Ainsi l’attentat commis le 29 janvier à la grande mosquée de Québec s’est révélé dans la presse du pays être «la nouvelle de la décennie». Entre-temps, la déroute de l’État islamique en Irak et en Syrie n’aura laissé qu’un soulagement de courte durée. Car ailleurs, de nouveaux rebelles, moins armés mais insaisissables, sèment encore la terreur. Si 2017 fut «l’année de l’intolérance», qu’attendre en 2018 dans un monde en désarroi et plus fragmenté que jamais?
Après les menaces nucléaires entre Pyongyang et Washington, capitales aux présidences imprévisibles, la venue de la Corée du Nord aux Jeux olympiques tenus en Corée du Sud apparaît comme une pause inespérée. Plus d’un observateur y voient un événement propice non seulement à une désescalade militaire, mais à un rapprochement entre les deux Corées et entre leurs puissants protecteurs. Les Jeux chantent déjà les vertus pacifiantes de l’olympisme. C’est oublier que trois ans après les Jeux de Berlin (1936), Hitler déclenchait une guerre qui fit 60 millions de morts.
C’est aussi perdre de vue que la Corée du Nord et les États-Unis ne sont pas seuls à posséder des missiles nucléaires. La Russie, la Grande-Bretagne, la France, la Chine, le Pakistan, l’Inde et Israël possèdent aussi de tels engins apocalyptiques. Or, ces gouvernements ne brillent guère par leur pacifisme, leur modération, voire leur stabilité. La plupart, il est vrai, redoutent de recourir à l’arme nucléaire, par contre aucun n’a de scrupule à vendre des armes conventionnelles. C’est ainsi que des conflits locaux et leurs victimes civiles continuent de sévir sur la planète.
Une nouvelle crise, pourtant, vient d’être déclenchée au cœur de la ville la plus tourmentée de l’histoire: Jérusalem. En décidant d’établir dans la ville sainte l’ambassade des États-Unis, le président Donald Trump croyait faire une habile manœuvre avec le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu. On aura surtout bloqué toute reprise d’un règlement du conflit en Palestine, et gravement compromis les acquis d’Israël avec ses voisins arabes. Pire encore, en endossant l’annexion de Jérusalem, le président Trump aura heurté des millions de musulmans à travers le monde.
Certes, l’immense majorité des musulmans réprouve la violence. Mais alors que les extrémistes qui tuent au nom d’Allah sont en recul, nul ne pouvait commettre de pire erreur à Washington que d’interdire le territoire des États-Unis aux musulmans et de faire de Jérusalem la seule capitale d’Israël. L’aveuglement est de retour à la Maison-Blanche malgré la promesse d’une Amérique plus sécuritaire. Mais en va-t-il autrement en Israël où tout attentat antisémite donne au gouvernement l’argument voulant qu’aucun juif n’est en sécurité où que ce soit ailleurs dans le monde?
Ainsi, après des attentats visant des sépultures, des synagogues ou des écoles juives en Europe, le gouvernement Netanyahu appela les juifs du Vieux Continent à émigrer en Israël. En France, pays qui en compte quelque 500 000, plus de 7000 quittèrent pour Israël en 2014, soit le double au moins de l’année précédente. Le cabinet israélien approuva en février 2015 un programme de 46 millions de dollars américains pour encourager une telle émigration chez les juifs de France, de Belgique et d’Ukraine. Israël n’est pas seulement «sécuritaire», leur a dit le premier ministre Netanyahu, c’est aussi «votre maison».
Les fondateurs d’Israël, bien avant l’Holocauste, répondaient aux persécutions des juifs d’Europe. Mais ils ne prétendaient pas réserver la Palestine aux juifs. Au contraire, ils se faisaient fort de vivre en harmonie avec les autres habitants du pays (sous la tutelle britannique). Certains acceptèrent même le partage du territoire, alors approuvé aux Nations unies. Les armes en décidèrent autrement, sans toutefois éliminer l’idée des deux États. Depuis, sionistes et ultra-religieux s’efforcent de rétablir un «État juif» (mais pas au sens du Der Judenstaat que lui donnait en 1896 l’illustre Theodor Ertzel).
Jérusalem est davantage qu’un État ou une capitale. Conquise par des empires, elle est restée sacrée pour trois religions. «Pendant mille ans, Jérusalem a été exclusivement juive; puis chrétienne pendant quatre cents ans, et musulmane pendant mille trois cents ans», note Simon Sebag Montefiore, dans sa remarquable «biographie» sur Jérusalem. Des croisés y ont massacré bien des juifs. Et en la libérant des chrétiens, le musulman Saladin y a fait revenir des juifs. Néanmoins, à l’ère moderne, Jérusalem présentait un triste visage aux visiteurs.
De passage dans la ville, le Kaiser allemand Guillaune II rêvera d’en faire un site spécial, sans en exclure le partage. «Nous trouverons pour Jérusalem une formule d’extraterritorialité de sorte qu’elle appartienne à personne et à tout le monde, que ses Lieux saints soient la propriété commune de tous les croyants.» L’idée a pris la forme d’un «statut international» pour Jérusalem. Mais à la chute de l’Empire ottoman, Britanniques et Français dépecèrent le Proche-Orient y laissant à leur sort des États et une Palestine faibles que les Nations unies n’allaient pas pouvoir sortir de l’abîme.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, d’autres puissances ont pris la relève au Moyen-Orient. Maintenant, Moscou y est de retour. Mais à Washington un président vient de ruiner le statut de médiateur que ses prédécesseurs avaient acquis. Les Européens, eux, peinent à surmonter leurs propres problèmes. Et quel pays arabe pourrait faire mieux? En Israël, entre-temps, un Netanyahu et ses rivaux multiplient les stratégies aussi téméraires que stériles, tantôt faisant campagne contre l’Iran (ancien allié sous le Shah), tantôt offrant à une autre dictature, cette fois l’Arabie saoudite, un marché commun régional.
Malheureusement des leaders israéliens comme Shimon Peres (qui s’est opposé au bombardement d’installations nucléaires en Iran) ou Yitzhak Rabin (qui ouvrit la porte aux Accords d’Oslo avec l’OLP de Yasser Arafat) ne sont plus là pour faire prévaloir contre les faucons du Grand Israël ou les zélotes d’un Israël théocratique la recherche d’une solution juste et durable avec les Palestiniens. Ce foyer national qui devait donner paix et de sécurité aux juifs fuyant la persécution les enferme aujourd’hui dans une société assiégée et de plus en plus fermée.
Pour les communautés juives qui ont été, depuis des siècles, un ferment de justice, d’égalité et de coopération au sein de sociétés intolérantes ou discriminatoires, et pour les juifs qui ont rêvé d’Israël comme d’un modèle pour les sociétés en quête de respect de la diversité humaine, l’impasse de la Palestine est doublement affligeante. Mais quel pays n’est pas aux prises avec de longs conflits entre populations différentes? Et qui peut prétendre avoir surmonté une telle tragédie? Pour autant nul ne saurait fermer les yeux sur la gravité de la crise que pose l’avenir d’une ville sainte comme Jérusalem.