Les jours se suivent sans se ressembler. Le 15 octobre, le pape François publiait son Pacte éducatif mondial qu’il espère être endossé par les organismes internationaux, les gouvernements et les responsables des grandes religions. Il appelle à une réforme mondiale de l’éducation axée sur la coopération et la reconnaissance de notre interdépendance. Il s’inscrit dans la droite ligne de ses deux encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti.
Dans ce plus récent texte, il voit dans l’état actuel du monde une «grande opportunité de montrer que, par essence, nous sommes frères […], au lieu d’accentuer les haines et les ressentiments» (n. 77).
Appelant les religions à se mettre ensemble pour sauvegarder l’humanité, il a déjà obtenu le soutien du grand imam Ahmad Al-Tayyib d’Al-Azhar, cette institution plus que millénaire qui figure parmi les plus importantes institutions savantes du monde arabe. Le Document sur la fraternité humaine, cosigné le 4 février 2019 par les deux figures religieuses propose d’«adopter la culture du dialogue comme chemin; la collaboration commune comme conduite; la connaissance réciproque comme méthode et critère». Le texte commun condamne sans compromis le terrorisme «dû [notamment] à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux».
Entre le catholicisme et l’islam, nous voyons donc des intentions communes, non pas d’hégémonie ou de conquête, mais de paix entre tous les peuples. Pourtant, ce qui s’est produit le 16 octobre en région parisienne est bien éloigné de ces belles intentions.
Un éducateur assassiné
Le plan du pape François est de rendre accessible l’éducation à tous les enfants de la terre. Il affirme que «l’éducation est l’une des voies les plus efficaces pour humaniser le monde et l’histoire». Pour cela, il importe de cultiver la tolérance et l’ouverture à la diversité, dans un respect de la liberté qui comprendra toujours celle de pouvoir s’exprimer à tort ou à raison sur tous les sujets, y compris la religion, même si cela blesse les croyants.
C’est ce que Samuel Paty avait l’habitude d’enseigner à ses étudiants dans son cours d’éducation morale et civique. Même s’il s’agissait d’un sujet sensible, il présentait la tuerie du Charlie Hebdo comme une tentative de contrôler la liberté qui est une des valeurs les plus essentielles. La mention et la présentation des images du prophète visaient davantage à faire état des enjeux afin de permettre aux étudiants d’en débattre tout en respectant la sensibilité des uns et des autres. Mais sa démarche pédagogique a été interprétée comme une charge contre l’islam.
Être éduqué à la diversité et à la liberté, ce n’est sans doute pas ce dont a pu profiter son jeune assassin. À 18 ans, poussé par le fanatisme de certains proches voulant imposer la censure plutôt que par une éducation qui laisse une large place à la raison, il aura bêtement confirmé, par son acte insensé, à quel point le pacte éducatif du pape est une nécessité pour le vivre-ensemble au XXIe siècle. En réalité, en décapitant cet enseignant dévoué, c’est un peu comme si, par la mouvance qui l’a poussé, il avait voulu détruire l’éducation laïque et civique qui a cours dans nos sociétés occidentales.
Pour nous qui sommes au Québec, l’ignorance des cultures religieuses risque de s’aggraver à la suite de l’abandon du programme Éthique et culture religieuse. Il deviendra plus difficile de résister aux généralisations et à la stigmatisation des croyants et ce, même si la vaste majorité des leaders religieux du monde, incluant au premier plan des sommités musulmanes, ont clairement dénoncé cet acte barbare en le dissociant des véritables finalités religieuses. Ne peut-on pas y voir une invitation à reconsidérer la tendance politique prise par le gouvernement Legault? Comment en effet critiquer justement les religions sans les connaître? Comment les apprécier aussi si nous ne les imaginons que par les actes de fanatiques qui se sont laissé convaincre que leur religion justifie de tels actes?
Chaque fois qu’une religion est instrumentalisée au profit d’idéologies qui s’arrogent le droit de supprimer des vies innocentes, celle-ci se trouve réduite à tout ce qu’elle ne devrait jamais être.
«Allahou Akbar, Dieu est grand». Cette expression a été spoliée de sa finalité depuis trop longtemps. Aucun dieu n’est grand lorsqu’il s’agit, en son nom, de priver un humain de sa vie. Aucun dieu ne mérite d’être vénéré s’il encourage le meurtre. Dieu ne peut être considéré que comme celui qui prend soin de chaque vie, comme celui qui aime et chérit la liberté, comme celui qui désire plus que tout la fraternité.
Le pape et le grand imam d’Al-Azhar proposent un chemin plus juste: « nous – croyants en Dieu, […] partant de notre responsabilité religieuse et morale, nous demandons à nous-mêmes et aux Leaders du monde […] de s’engager sérieusement pour répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix; d’intervenir, dès que possible, pour arrêter l’effusion de sang innocent, et de mettre fin aux guerres, aux conflits, à la dégradation environnementale et au déclin culturel et moral […].»
Plus que jamais, les autorités civiles et religieuses dans le monde se doivent d’entendre cet appel pour que soit cassée définitivement de nos esprits toute correspondance systématique entre religion et violence. Elles doivent gouverner en reconnaissant que la violence vient tout autant des riches que des pauvres, des croyants que des mécréants, de toutes les cultures et de toutes les ethnies, car elle est d’abord partie prenante de notre humanité.
Un monde sans violence, il s’agit là du véritable jihad, de l’authentique «combat spirituel» où chacun et chacune, en son âme et conscience, doit s’engager résolument à éradiquer tout ce qui nous y conduit. L’éducation est l’une des armes les plus redoutables pour mener ce combat. Vivement que nous en rétablissions les fondements et garantissions l’accessibilité pour tous et toutes.
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