Les pays dévastés par la Seconde Guerre mondiale n’avaient pas imaginé, avant Hiroshima et Nagasaki, qu’une pire menace attendrait les peuples: l’anéantissement atomique. Depuis 1945, «l’équilibre de la terreur» aidant, les puissances nucléaires ont évité de réduire l’humanité à l’âge de pierre. Or, au milieu des conflits, des révoltes, des catastrophes, voilà qu’une pandémie frappe la planète. Cette épreuve va-t-elle enfin rendre les populations et les gouvernements plus solidaires?
Une fois surmontée la crise du coronavirus, en effet, les nations sauront-elles affronter les changements climatiques et leurs défis récurrents qui n’épargnent aucun continent? Ou bien, au contraire, les exodes de populations, les soulèvements politiques et les antagonismes religieux rallumeront-ils de vieux conflits ou aggraveront-ils les rivalités nouvelles entre grandes puissances?
L’ONU, croyait-on, réunirait les peuples. La Guerre froide l’a hélas emporté sur la diplomatie. Le désarmement nucléaire, ce rare espoir de paix, n’aura ni éliminé les stocks d’engins atomiques, ni freiné le développement d’armes de destruction massive. Certes, l’espace enveloppant la Terre – déclaré ouvert à tous les pays et interdit aux armes – avait jusqu’ici tenu ses promesses. Or, voilà que le ciel parsemé de satellites est convoité par des forces en quête d’un nouveau «champ de bataille».
Parmi les puissances nucléaires, quatre flirtent avec la militarisation spatiale: les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde.
D’autres, dont le Pakistan, pourraient y accéder pour défendre leurs propres satellites (communication, météo, surveillance) et leurs bases navales ou terrestres. Car, cela ne fait plus de doute, satellites, missiles et autres murs protecteurs font désormais partie des systèmes d’attaque autant que de défense. La nouvelle course aux armements est déjà lancée.
Dans une allocution aux militaires du Pentagone, en août 2018, le vice-président Mike Pence déclarait: «Le temps est venu de se préparer pour le prochain champ de bataille.» Le président Donald Trump avait déjà justifié ainsi cette stratégie: «Pour défendre l’Amérique, une simple présence dans l’espace ne suffit pas, nous devons dominer l’espace.» Les membres du Congrès n’étaient pas tous d’accord. Pourtant c’est maintenant chose faite.
Une «Force de l’espace» fait désormais partie de l’armée américaine. Par 86 voix contre 8, les sénateurs en ont approuvé le principe, le financement et la mise en marche. On en puisera le budget, les recrues et le commandement dans l’armée, sans ajouter au fardeau des contribuables. Cette force spatiale fait déjà partie de la propagande de réélection du président. Entretemps, son farouche adversaire, Bernie Sanders, qui se moquait d’un tel projet, s’est retiré de la course… Et la guerre des étoiles devient populaire.
En Russie, en pleine réforme du pouvoir présidentiel, Vladimir Poutine brandit une «arme absolue» baptisée Avangard, un missile hypersonique (33000 kilomètres à l’heure) capable de changer de cap et d’altitude. Aucun autre pays, croit-il, ne pourra disposer d’une telle arme dans un avenir prévisible. La Russie en a même promis une autre version pouvant viser des cibles via le pôle Nord et le pôle Sud. Tout cela, bien sûr, dans un but, non de guerre, mais de «dissuasion».
La Russie, les États-Unis et la Chine ont chacun réussi à «détruire» de leurs propres satellites. Le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, alors en campagne électorale lui aussi, s’est fait une fierté de proclamer que son pays avait également réussi un tel exploit. «L’Inde n’a aucune intention de se lancer dans la course aux armements dans l’espace», a déclaré New Delhi. «Nous avons toujours soutenu que l’espace devait être utilisé uniquement à des fins pacifiques.» Le Pakistan, son voisin, n’aura pas été rassuré!
L’exploitation pacifique de l’espace est déjà compromise.
Les explosions expérimentales à des fins militaires risquent de détruire des satellites déjà en orbite. (À lui seul, un essai chinois aurait causé en 2007 plus de 3000 débris.) Erreur, accident ou provocation auront tôt fait d’endommager ces services, sinon la Station spatiale internationale. L’entrée de ces «forces spatiales» risque de multiplier les dommages civils et les dangers militaires.
Si l’opinion mondiale ne parvient pas à stopper ces lubies, des milliards seront dépensés contre des attaques imaginaires, alors que même des pays riches sont encore incapables de prévenir sinon de vaincre des épidémies bien réelles qui saccagent la santé des peuples et des économies. Dans l’Antiquité, la préparation des guerres n’avait ni préservé la paix, ni sauvegardé les empires. La bombe atomique, clé de voûte du nouvel équilibre, aura plutôt répandu un nouveau danger, sans pour autant éliminer les conflits.
Pays le plus puissant d’aujourd’hui, le «Gendarme» américain en est réduit à négocier avec des talibans son retrait d’Afghanistan. On ne compte plus les pays que ses «interventions» ont laissés en ruines. Sa force de «dissuasion», n’avait pas empêché une poignée de djihadistes de frapper au cœur de New York. Elle aura, depuis, laissé une épidémie d’attentats sévir dans les cafés d’Europe. Et, jusque dans une école de l’armée américaine, subir une attaque d’un stagiaire saoudien!
«Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre», disaient les Anciens. Aujourd’hui, une folie politique poussera-t-elle les contemporains à préparer une guerre des étoiles? La prochaine élection américaine en donnera peut-être bientôt une idée. La plupart des victimes éventuelles ne peuvent pour l’instant que constater la mise en orbite d’un nouvel équilibre de la terreur.
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