L’élection n’est pas encore commencée au Québec que des salves partisanes rivalisent déjà de promesses gigantesques. Ce pays manquant de main-d’œuvre, qui donc, diront les sceptiques, réalisera ces infrastructures censées faire de la Belle Province un paradis de mobilité durable? Car, en ville comme à la campagne, on peine encore à réparer ponts et chaussées. Par contre, la lutte s’annonce si serrée dans ce royaume de la chasse-galerie, y aurait-il lieu de craindre, comme autrefois, le recours aux grandes peurs collectives?
Certes, les défenseurs du peuple québécois ne vont pas, comme sous Maurice Duplessis, s’en prendre aux Témoins de Jéhovah, aux juifs ou aux communistes. La Sûreté du Québec ne va pas poser de cadenas aux temples ne prêchant pas la vraie foi. Et, qu’un pont tombe, comme à Trois-Rivières, nul chef politique n’en accusera Moscou. Cependant, s’il n’y a plus de juifs venus de l’Allemagne nazie chercher en vain refuge ici, ces musulmans d’aujourd’hui rendus chez-nous, dit-on, y seraient-ils plus acceptables?
Dans une société ouverte aux débats, à la culture et aux informations, certaines peurs venues du passé doivent normalement se dissiper. Pourtant, que de ressentiments et de préjugés continuent de subsister d’une époque et d’une génération à l’autre. Au Canada, tels sont encore les rapports entre les Premières Nations, les colonisateurs et les immigrants qui y ont transplanté les mœurs et conceptions de leurs pays d’origine. Il en est résulté des antagonismes multiples qui conditionnent toujours la vie politique.
Les vieux antagonismes entre religions ont perdu de leur virulence. Mais les institutions sociales qu’elles ont léguées peinent à faire œuvre commune.
Même en régime démocratique, la politique offre ce paradoxe contradictoire: les uns s’efforcent de réconcilier les différences (le vivre-ensemble) alors que d’autres n’ont pas scrupule de les exploiter (la manipulation électorale). D’où les oppositions historiques qui perdurent et parfois s’aggravent, comme entre le Québec et le Canada.
Ainsi des efforts de réconciliation ont hier amené les gouvernements du pays à rechercher une nouvelle entente. Mais les négociations constitutionnelles auront échoué, haussant la tension au sein de la confédération. Une violence symbolique éclatera en 1989 alors qu’à Brockville en Ontario des gens brûlent le drapeau du Québec et d’autres s’y essuient les pieds. Radio-Canada fait de cette scène la preuve du rejet du Québec par le Canada anglais. Dans les quatre mois qui suivent, la scène fut rediffusée 22 fois, avec l’impact qu’on imagine.
L’histoire réelle ne vint que plus tard, à CBC. Les «Canadiens anglais» qui avaient «insulté» les Québécois étaient en fait l’un Gaspésien et l’autre commerçant à Montréal. Exilés du Québec, ils exprimaient non pas le sentiment des Canadiens mais leur propre ressentiment comme Anglo-Québécois. Bref, après avoir accepté des réfugiés de partout, le Canada et le Québec venaient de produire des exilés de l’intérieur. Tous les responsables politiques ne comprirent pas cette frustration ni le danger qu’elle comportait.
Quelques années plus tard, devenu premier ministre et préparant le deuxième référendum sur l’indépendance du Québec, Jacques Parizeau est assuré de gagner. Il confie en 1994 au Los Angeles Times, influent quotidien des États-Unis: «Get me a half-dozen Ontarians who put their feet to the Quebec flag, and I got it. » (Donnez-moi une demi-douzaine d’Ontariens qui mettent leurs pieds sur le drapeau du Québec, et je l’ai emporté.) Ils furent des milliers à venir manifester à Montréal en 1995, et Parizeau vint près de gagner!
La prochaine élection n’aura pas la ferveur et l’émotion d’un référendum. L’enjeu référendaire important à l’ensemble de la population, la participation au scrutin fut massive. Le vote du 1er octobre ne sera sans doute pas massif, mais les résultats risquent d’entraîner des conséquences lourdes pour maints candidats mais surtout pour quelques partis.
Dans ce contexte, la tentation sera forte d’exploiter des situations inquiétantes, voire d’en fabriquer.
Un désastre naturel ne peut guère être ignoré, même en campagne électorale, ni une catastrophe économique. On ne saurait non plus écarter la possibilité d’un incident violent ou percutant à caractère politique, comme il en survient ailleurs et maintenant au Canada, y compris au Québec. Le cas échéant, la réaction des partis et des médias met à l’épreuve une double responsabilité: éviter l’exaspération d’un climat propice aux excès et refuser la tactique du fauteur de troubles ou de l’illuminé en quête de notoriété.
Des procès mettant aussi en cause des policiers et des journalistes n’ont pas encore permis d’élucider des fuites d’information et la part, s’il en est, d’institution de justice. Ainsi, le patron de l’Unité permanence anti-corruption (UPAC) avait fait sensation en disant qu’on ne ferait pas d’arrestation durant la campagne électorale. Il n’aura guère dissipé les appréhensions en ajoutant plus tard que l’UPAC pourrait en faire si cela était nécessaire. À ce dilemme s’ajoutait le bruit de «fuites» non autorisées d’enquêteurs mécontents!
À une époque tumultueuse qui mena à la crise d’Octobre et à des commissions d’enquête sur la police au Québec et au Canada, un événement avait troublé le public. Un membre de la Gendarmerie royale (GRC) avait failli périr en posant une bombe au domicile d’un homme d’affaires. La police de Montréal s’était fait un devoir et un plaisir de l’arrêter. Un journaliste demanda à un officier: «Pour qui, de la GRC ou de la mafia, le coupable avait-il agi?». «Pourquoi faire cette distinction», répondit le limier, l’œil moqueur.
Autres temps, autres mœurs?