Leurs gouvernements étant liés aux magnats du pétrole, les gens du Québec ne s’attendaient guère à voir autant de maires, de ville comme de village, s’opposer à un oléoduc national. Ces élus ne sont-ils pas eux aussi friands de taxes et de jobs? Nul hôtel de ville n’étant aux mains des écolos, cette soudaine rébellion en aura étonné plus d’un. Avait-on flairé une occasion de récolter des votes? Ou était-ce plutôt le coup d’envoi de ces «gouvernements de proximité» que sont devenues les municipalités québécoises? Si c’est le cas, le 5 novembre, tout un peuple va rallier la rébellion!
Pourtant, les sondages n’annoncent pas de raz-de-marée le long du Saint-Laurent. Dans l’une des bourgades où un maire est déjà élu par acclamation, on ne saura jamais quelle aurait été, en cas de scrutin, la participation des citoyens. Partout, triste héritage d’un passé où seuls les propriétaires avaient droit de vote, rares furent les majorités à se rendre aux urnes. Le vote universel date d’à peine quelques décennies. Au «vol des élections» d’autrefois a succédé ces dernières années l’élection «clé en main». Pour secouer l’apathie électorale, il faudra donc plus qu’une publicité du Directeur des élections.
Non qu’on manque de sujets de mécontentement. À Québec comme à Montréal, le vieux quartier est «invivable». Là aussi la congestion paralyse les voies de circulation. Une pollution y mine la santé des citadins. Spéculation foncière et lourdes taxes étouffent les familles. Des syndicats policiers rivalisent depuis longtemps avec des entreprises sans vergogne dans l’extorsion des contribuables. Ailleurs, comme à Laval, une corruption généralisée a été dévoilée, mais d’autres banlieues restent infestées.
Entretemps, les subventions abondent pour des feux d’artifices, des shows de chars et autres stades superfétatoires. Le temps n’est-t-il pas venu d’un grand ménage?
Encore faudrait-il qu’une relève valable incite les électeurs à voter. Sous la nouvelle «proximité» pourrait subsister, en effet, du pareil au même autant que du sang neuf. Il ne suffit pas de changer un Parti X en Équipe Y pour garantir compétence, intégrité et respect des contribuables. Ni ériger une métropole décrépite ou une vieille capitale en joyaux dignes d’admiration mondiale. Le rapport de la politique avec les citoyens doit aussi changer. Promettre n’est pas gérer, ni quémander, être libre.
Mais pour que l’électeur aille voter, il doit avoir la conviction que l’enjeu en vaut la peine, que le scrutin n’est pas truqué, ni le résultat fabriqué d’avance. Bref, que ses représentants sont dignes de servir la communauté. Or, l’arène municipale est-elle plus démocratique qu’une campagne nationale? Un candidat, homme ou femme, choisi par le chef et astreint à suivre la «ligne du parti», ne représente plus d’abord ses électeurs. Comment lui faire confiance et croire qu’il va servir, non des intérêts particuliers, mais l’intérêt public?
Plusieurs défis, anciens ou nouveaux, incitent néanmoins à s’intéresser à la chose municipale. Certains sont connus. Ainsi les décisions des autorités locales devraient se prendre en assemblée publique, non sur un terrain de golf ou dans un club privé. Les espaces publics devraient devenir accessibles à une population vieillissante tout comme aux tout-petits. Les habitations vétustes ou sises sur d’anciens dépotoirs demandent l’attention de la santé publique. Les terres inondables ne sauraient plus être laissées aux promoteurs irresponsables. Il en va de même des territoires agricoles.
D’autres urgences aussi s’imposent aux autorités locales. Les catastrophes naturelles ne sont plus le lot des seuls pays tropicaux. Au nord, certes, les populations ont appris à vivre avec l’hiver. Mais une «tempête de verglas», voici quelques années, aura des semaines durant paralysé le sud du Québec. Désormais, déluges et inondations bloquent les routes; des vents violents rompent des services d’énergie et abattent des arbres sur des maisons, chassant les résidents.
Toute une nouvelle implantation de services essentiels exigera imagination, financement et discipline. Quelles villes y sont prêtes?
En cas d’urgence, le pays se prête mal à une collaboration rapide et efficace entre les villes et surtout entre les divers gouvernements. L’étendue des territoires, la dispersion des lieux de décision, sans parler des lourdeurs bureaucratiques et des rivalités politiques, ajoutent aux difficultés. Comment orchestrer alors des opérations de grande envergure? Les autorités civiles peuvent, en cas de nécessité, faire appel aux forces armées. Ces militaires se sont révélés disponibles, préparés et disciplinés. Mais, efficaces à porter secours à une ville, ils ne pourraient maîtriser de plus vastes catastrophes.
De plus, comme de récents cafouillages routiers l’ont démontré, en cas de blocage des voies d’évacuation, des alternatives ne sauraient s’improviser. L’automobile n’est pas une solution universelle; elle encombre autant qu’elle offre quelque flexibilité. Des autobus peuvent changer de route, mais pas un métro ni un train. Malheureusement, on en est encore aux chemins de fer anachroniques. Le transport en commun retrouve enfin sa place sinon la priorité; encore faut-il le gérer suivant les besoins des populations desservies.
Si au moins, à défaut d’une coopération entre gouvernements et entre provinces, les citoyens des villes québécoises pouvaient miser sur la cohérence du pouvoir en place à Québec, leurs grandes agglomérations seraient moins embourbées. Les ponts ne seraient pas si étranglés. Et surtout, on ne verrait pas Montréal proclamée métropole unique d’ambition internationale… mais écartée du futur réseau de métro, dont le projet et la gestion sont confiés à une Caisse de retraite et d’investissement. Manifestement, la proximité en haut lieu importe plus que la proximité avec les citoyens!
Faut-il s’en surprendre? Maintes grandes villes modernes n’ont pas été créées par leurs pouvoirs politiques, encore moins par leurs habitants, mais par des puissances financières, souvent étrangères (européennes dans le cas de Montréal). La prolifération de banlieues, de centres d’achat autoroutiers, tout comme en ville, de gratte-ciel d’affaires, cela est l’œuvre méconnue de forces non élues. Et non d’abord d’urbanistes, d’architectes ou d’entrepreneurs qui seraient au service d’une population et d’une culture. La reconquête des villes par leurs citoyens ne fait que commencer.
L’élection québécoise du 5 novembre 2017 en sera-t-elle un premier jalon?