J’ai souvent eu de la difficulté avec le mot «péché», si décalé avec les sensibilités contemporaines, y préférant l’idée de «faute». Mais à la lumière de la crise des abus qui perdure, je préfère finalement «péché» avec toute sa charge de mal originel et d’impuissance. Impuissance de la condition humaine. Impuissance des institutions qui ne parviennent pas à se libérer du péché qui les imprègne.
Je suis même une croyante qui a tendance à escamoter la dimension de la souffrance de Jésus condamné, flagellé et crucifié, préférant le mystère de sa résurrection où il a transcendé la douleur et la mort une fois pour toutes. Or, les témoignages et les dénonciations des personnes survivantes des abus, physiques, sexuels, psychologiques ou spirituels, me font voir d’un nouvel œil cette figure du Christ souffrant, qui est un frère pour celles et ceux dont l’humanité a été blessée. L’Église passe par un temps douloureux. Y aura-t-il une purification à son issue? Dans le dépotoir, trouverons-nous un peu de grâce?
Catholiques désabusés
Combien de temps encore les catholiques devront-ils déchanter devant l’abysse de non-crédibilité qui s’est ouvert? Deuil et désillusion les habitent, leur attachement à l’Église est meurtri. La tentation de quitter sur la pointe des pieds n’est pas loin, et certains y ont déjà cédé, trouvant des réseaux hors-Église pour vivre une fraternité et une cohérence qui semblent devenues déficitaires ou artificielles en Église. Les efforts de synodalité, d’évangélisation et la possibilité d’un réenchantement ont souvent le goût du vinaigre lorsque l’espoir des réformes par la hiérarchie se trouve aussi déçu.
En effet, des médias révèlent que des cardinaux, des évêques, des monseigneurs, ceux-là même qui ont en main les leviers du changement, sont maculés d’accusations, qu’il s’agisse d’avoir perpétré ou caché des abus, de s’être ingéré dans des processus, de se murer dans le silence… La transparence en prend un coup à chaque révélation. Tous les membres du clergé ne sont pas des abuseurs – ce n’est même pas la question, ici. Un poison systémique est bien présent, et des ministres sans reproche en font aussi les frais.
Toucherons-nous enfin le fond? Peut-être que la crise achèvera enfin ce modèle de l’Église de chrétienté qui n’en finit plus d’imploser.
Réformer comment?
Cette semaine, à Lourdes, environ 250 journalistes et communicateurs catholiques sont réunis pour les Journées François de Sales organisées par la Fédération des médias catholiques français et le dicastère pour les communications. Le thème Comment se faire entendre ? Des grandes voix catholiques répondent sera l’occasion de faire dialoguer des professionnels des médias et des observateurs de plusieurs régions du monde, en abordant notamment les enjeux d’une parole publique catholique et du courage journalistique face aux abus.
Saint François de Sales, décédé il y a 400 ans (22 décembre 1622), célébré par l’Église catholique le 24 janvier, est le patron des journalistes et des écrivains. Durant sa vie chevauchant les 16e et 17e siècles, en pleine effervescence de la Réforme protestante et du mouvement catholique de la Contre-Réforme, François fut un auteur prolifique qui bénéficia d’ailleurs des débuts de l’imprimerie. Sermons, traités de spiritualité, lettres personnelles: il animait une réflexion publique et pastorale en vue du bien, de la charité. Le pape François lui consacre une lettre apostolique, Totum amoris est, qui souligne sa contribution féconde à l’Église, lors d’une période de crise. Qu’en retenir dans le contexte actuel?
Quelques réflexions de François de Sales peuvent éclairer la réforme nécessaire dans cette crise ainsi que le rôle des médias. «Il propose de se demander […] dans chaque circonstance de la vie, où se trouve le plus grand amour.» Quelle est la motivation du travail d’enquête et de reportage concernant les abus? Il est question de présenter les faits, de faire la vérité. Ce service des faits et de la vérité (pour autant que l’on puisse s’en approcher) est pour le bien commun. ll peut être accompli par une presse catholique spécialisée tout autant qu’une presse indépendante ou généraliste. Ce bien commun n’est-il pas, en somme, une charité, c’est-à-dire un souci et un amour du prochain? Dans le cas des abus, le journalisme qui est motivé par le bien des victimes, et non par un acharnement simpliste contre l’Église, est juste. «C’est la charité et l’amour qui donne le prix à nos œuvres», dit encore François de Sales.
Signes des temps?
«Néanmoins, ne vous laissez pas pour cela de vous réformer», écrivait-il aussi (c’est-à-dire «ne négligez pas de vous réformer»). L’Église est gangrénée par un mal systémique qui produit le fruit pourri du contre-témoignage. Je ne doute pas que les journalistes rêvent d’un jour où il n’y aurait plus d’abus à couvrir en Église (et dans d’autres milieux). L’énergie investie à enquêter, affronter des logiques protectionnistes, du déni ou des insultes est considérable. Ce travail est noble et ne saurait se résumer à «tirer sur l’Église» avec malice, comme certains semblent penser. Certes, des approches tendancieuses et spéculatives existent. Tout comme il est, à l’opposé, des approches qui font le choix tacite de la complaisance. Cela ne rend pas plus service à l’Église et n’est pas cohérent avec le bien commun.
Depuis le concile Vatican II, l’idée de «lire les signes des temps» (signa temporum) est courante. Elle réfère au fait de discerner le travail de Dieu dans le monde, dans les événements et les prises de conscience qui conduisent à un progrès humain. Dans cette logique, la révélation des abus et ce travail de purification ne seraient-ils pas œuvre divine pour le bien de tous, et surtout des plus vulnérables?
Alliés de cet élan, journalistes et communicateurs contribuent à cette lecture des signes des temps qui est une exigence du bien et de la charité. Nous serions indignes des temps qui sont les nôtres si nous refusions ce travail de vérité. Au milieu du dépotoir, espérons trouver un peu de grâce.
Sabrina Di Matteo est présente à Lourdes pour intervenir dans un atelier lors des 26e Journées internationales Saint François de Sales.