Ces jours-ci, on me met au défi de faire l’étalage de tous les massacres de chrétiens dans le monde, pour «compenser» la couverture médiatique qui privilégierait les musulmans, chaque fois qu’ils subissent un nouvel attentat terroriste, plus que tout autre événement haineux qui concernerait les chrétiens…
En parallèle à ces interpellations, un ami que j’aime bien et qui manie habituellement l’art de la nuance, finit par lâcher quelque chose qui m’atteint: «Je crois […] que nous devrions envisager la possibilité que certaines cultures ou valeurs soient tout simplement incompatibles entre elles – en partie ou en totalité.»
Il faisait référence à l’islam et le Québec.
Une personne au credo humaniste peut-elle arriver sincèrement à cette conclusion? N’est-ce pas abdiquer devant la difficulté du dialogue et l’impératif vital de faire tous les efforts possibles pour construire le vivre-ensemble?
Mais qu’est-ce donc qu’être «incompatible»?
Aux jours de mes fiançailles, plusieurs disaient de ma future épouse et moi-même que nous avions des personnalités incompatibles. Des tests prédisaient même l’échec de notre couple. Ma conjointe et moi allons bientôt célébrer 35 ans de mariage. Je l’aime plus qu’au premier jour et nous cohabitons avec plus d’harmonie, en respectant nos différences, que durant les premières années. Il m’est difficile d’imaginer que deux humains puissent être totalement incompatibles, sinon de façon provisoire ou sans vraiment faire l’effort de rencontrer l’autre avec tout ce qu’il est. Serait-ce différent pour les groupes aux croyances différentes?
Une guerre de chiffres… sans valeur
Le défi de la balance que me réclament certains détracteurs me paraît totalement improductif et tend plutôt à favoriser toutes les formes d’extrémisme. Je ne crois pas que d’exacerber l’esprit de groupe, du «même que soi» ou du «nous» – pas si indifférencié qu’on aimerait le croire – permettrait à la société québécoise de mieux vivre selon «ses valeurs». Le cas échéant, cela reviendrait à nier la richesse des personnes immigrantes qui viennent depuis plus d’un siècle contribuer au développement de notre culture. Quelle légitimité aurions-nous à nous isoler du reste du monde en ne limitant nos échanges qu’avec ceux qui nous ressemblent?
Quant aux religions, l’histoire à long terme montre qu’elles ont su coexister à un moment ou l’autre de leur existence. Il y a eu, bien entendu, des conflits, parfois des guerres sanglantes où la religion propre à une ethnie ou une culture était mise à contribution pour souquer les troupes et convaincre leur population d’envoyer leur jeunesse mourir au front au nom d’un dieu guerrier. L’Occident soudainement unifié par le christianisme ne fait pas exception, à preuve le fameux «axe du mal» de G. W. Bush! Mais ce sont les grandes périodes de paix qui devraient davantage nous inspirer aujourd’hui.
Qui des chrétiens, musulmans, juifs, hindous ou bouddhistes meurent le plus du fait qu’ils sont de telle ou telle appartenance religieuse? Est-ce si important?
D’une part, oui. Car il faut bien compter nos morts et exprimer notre solidarité avec les familles éprouvées. Mais la valeur d’une vie chrétienne serait-elle supérieure à celle d’une vie musulmane ou autre? Ma réponse est claire: non, aucune vie n’a plus de valeur qu’une autre. Ou plutôt, aucune vie n’a moins de valeur qu’une autre…
Apprendre à vivre en frères et sœurs ou mourir idiots
Martin Luther King, face aux tensions raciales de son époque, prophétisait déjà la mort à petit feu des groupes opposés parce que la violence ne peut qu’engendrer la violence, semant la mort et la détresse partout sur son passage. Oui, il nous faut apprendre de ces moments de l’histoire où la violence a dominé parce que des intérêts collectifs apportaient plus de divisions et d’hostilité contre les autres, trop différents pour faire partie du «nous». La seule voie ouverte par la peur, la méfiance et l’animosité envers des individus qu’on associe illusoirement à des groupes homogènes – par exemple: «les musulmans» – est le clash, le choc des cultures voire des civilisations que de tristes penseurs ont estimé probable.
Et si nous comptions plutôt tous les morts dus à la haine de l’autre, y compris la nôtre?
Chaque jour, des hommes, des femmes et surtout des enfants meurent à cause de la haine. Pourtant, toutes les religions estiment que la mort injuste d’un seul être humain constitue déjà la mort de l’humanité. Ce n’est pas pour rien qu’à toutes les guerres on a vu des gens risquer leur propre vie pour sauver des vies ennemies: c’est dans nos gènes de notre commune humanité!
Nelson Mandela, ayant pardonné à ses «autres détestables» qui l’avaient mis en captivité, l’a exprimé mieux que quiconque: «La haine n’est pas innée… Les hommes apprennent à haïr, et s’ils peuvent apprendre la haine, alors on peut leur enseigner l’amour, car l’amour gagne plus naturellement le cœur humain que son contraire.»
C’est dans un tel monde que je voudrais voir s’épanouir mes petits-enfants. Certainement pas dans celui de ceux et celles qui veulent seulement diviser, en croyant que leur vie, parce qu’elle serait liée à une culture supérieure ou incompatible avec d’autres, aurait une valeur plus grande.
Quand donc les chrétiens se mettront-ils sérieusement à répondre à l’appel du Christ à aimer leurs ennemis? Il n’a pas dit «tolérer» ni même «respecter», mais aimer… Et il est vrai qu’aimer peut amener certains à devoir assumer une immense rançon, celle d’être soi-même haï, menacé voire tué. La valeur d’une vie se mesure au don qu’elle fait d’elle-même, pas au fait d’appartenir à tel ou tel groupe.
Je pleurerai donc chaque vie innocente sacrifiée sur l’autel de la haine, peu importe en quoi elle se rapprocherait ou s’éloignerait de mon identité culturelle ou religieuse. L’incompatibilité n’est qu’un voile qui couvre notre unique appartenance: nous faisons partie de la seule race qui existe sur terre, l’humanité. C’est elle tout entière que nous devons préserver. Cela commande l’éducation au vivre-ensemble et au dialogue interculturel.
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