Le 21 mars 2017, une militante Femen s’est trouvée acquittée à la suite d’un procès pour tapage et vandalisme dans le cadre du Grand Prix de Formule 1 à Montréal en juin 2015. Neda Topaloski et une complice s’étaient présentées, poitrines dénudées marquées de messages provocateurs, sur un site public où l’on exposait des voitures, grimpant sur l’une d’elles et proférant les slogans du groupe à tue-tête et d’où elles furent violemment interceptées.
Après l’acquittement, l’avocate de Mme Topaloski, Véronique Robert confiait au Devoir qu’il s’agit d’une décision importante pour le droit de manifester et pour les revendications féministes, la décision retenant surtout que l’intention était de transmettre un message contre l’exploitation des femmes.
Face aux manifestations des Femen à travers le monde, je suis, comme plusieurs, perplexe et parfois choqué. L’utilisation qu’elles font de leur corps, dont l’instrumentalisation par des tiers est dénoncée, pourrait porter à confusion et ne pas servir leur message, surtout lorsqu’il y a grabuge. Mais il faut admettre que cette nouvelle forme d’activisme s’avère efficace pour dénoncer l’exploitation des femmes et de leur corps en particulier.
Les Femen s’en sont pris fréquemment aux trois grandes religions qu’elles accusent d’être les institutions les plus oppressives envers les femmes. Un livre intitulé Anatomie de l’oppression, publié chez Seuil par deux pionnières, dénonce avec puissance la convergence des religions lorsqu’il s’agit de décider de l’usage du corps de la femme. Il va de soi que leur vision, basée sur des centaines de témoignages, est largement partagée par des mouvements féministes laïques. Mais elle trouve également des échos chez des femmes à l’intérieur même des religions visées.
Le prophétisme et la théâtralité
Les Femen n’ont rien inventé en scénarisant leur corps pour provoquer et dénoncer. Plusieurs des prophètes bibliques sont connus pour avoir procédé de manière semblable. Le prophète Michée, par exemple, s’est lui-même dénudé pour se présenter devant le peuple dont il dénonçait les pratiques, en se frappant la poitrine et en hurlant ses lamentations (Michée 1,8). Il imitait possiblement son contemporain Ésaïe qui s’était promené parmi le peuple «nu et déchaussé» pendant trois ans (Esaïe 20, 3-4). La théâtralisation engagée des prophètes ne se limite pas à la nudité: Jérémie a porté un joug de bête de somme sur ses épaules pour appeler le peuple à se soumettre à son envahisseur; Ezékiel a exécuté une danse et un mime pour imager ce qui attend le peuple; Jean-Baptiste s’est habillé de «poil de chameau», vêtement inusité, pour frapper l’imagination de ses congénères et les exhorter à la justice.
Contrairement aux bien-pensants et à certains élus qui ne cherchent pas vraiment l’avènement d’une plus grande justice, les prophètes sont libres. Leur parole vient d’un cri qui les habite et qui doit impérativement sortir et se faire entendre. Leur corps participe en devenant la scène par laquelle ils expriment leur indignation.
S’il est vrai que ce sont des hommes qui ont agi de cette manière, leur méthode aurait pu inspirer aussi des femmes si elles avaient déjà, en ces lointaines époques, pu disposer plus librement de leur corps!
Le prophétisme des Femen
Le travail des prophètes anciens visait «la désacralisation du pouvoir, de l’argent et du culte»*. Ils sont la conscience critique du peuple quand il se détourne du chemin divin. Ils parlent au nom d’un Autre. Si on voulait voir un certain prophétisme dans l’action des Femen, au nom de quel Autre parleraient-elles?
La réponse se trouve peut-être dans leur livre publié récemment. Les auteures disent que ce sont les témoignages des femmes opprimées, abusées, chosifiées qui sont la source de leur prise de parole. Les prophètes du Premier Testament savaient voir l’injustice et la dénoncer au nom des pauvres, des veuves, des exclus, des sans-voix et ils ne voyaient pas comment Dieu pouvait être ailleurs qu’à leurs côtés. Comme eux, les Femen crient de toutes leurs forces le mal-être qu’elles entendent de la part de leurs sœurs écrasées sous la domination d’hommes, d’institutions érigées par eux et dont les religions se portent garantes.
Au-delà de son aspect certes un brin scandaleux, l’action des Femen présente plusieurs traits qui s’apparentent au prophétisme biblique. Si elles s’en prennent aux religions et à Dieu, c’est précisément parce que les interprétations dominantes donnent à penser que Dieu serait davantage du côté des hommes en soutenant leurs privilèges de mâles qui produisent l’asservissement des femmes.
Une lecture anthropologique et contextuelle qui reconnaît l’enculturation des Écritures peut révéler la légitimité des revendications des Femen. Laquelle des trois grandes religions reconnaîtra la première, dans ce phénomène, une nouvelle forme de prophétisme?
*http://www.la-croix.com/Archives/2015-11-28/Les-prophetes-1-5-2015-11-28-1386063