La contagion du coronavirus suscite des mouvements de solidarité et, dans les laboratoires médicaux, une pressante recherche de vaccins. Mais tant au plan local qu’international des antagonismes risquent de freiner ces efforts. La tentation est grande de blâmer tel pays d’avoir réagi trop tard. D’exploiter une population désemparée. Et même d’accuser un pays d’avoir répandu le virus. Voire de monopoliser la découverte d’un remède.
L’histoire des épidémies est remplie de sombres complots.
Aux premiers siècles, quand un mal frappait plus d’une personne à la fois ou se répandait d’une contrée à une autre, il fallut bien en imaginer la cause et l’auteur. Les guérisseurs d’alors n’ayant pas le remède, des explications surnaturelles s’imposèrent. Des dieux, croyait-on, punissaient les gens qui les avaient offensés. Ou encore un inconnu mécontent ou maléfique jetait un sort à qui lui avait porté malheur.
Plus tard, des désastres naturels tels qu’un déluge ou une sécheresse furent attribués à un groupe «néfaste».
Dans son martyrologue du judaïsme, Simon Wiesenthal cite un orage qui terrifiait Rome le 20 avril de l’an 1017. Plusieurs chrétiens en étant victimes, on raconte alors au pape que les juifs avaient insulté l’image du Christ à la synagogue. Benoît VIII en fait alors décapiter plusieurs. Selon les sources chrétiennes, note l’auteur, «l’orage se calme aussitôt». En l’an 1349, la peste noire fut l’occasion d’en massacrer en grand nombre, accusés d’empoisonner les puits.
Cette intolérance ne fut abrogée qu’au concile Vatican II.
Jacques Cartier avait impressionné ses hôtes en guérissant de leurs malades. Par contre, plus d’un Français frappé du scorbut sera sauvé par les aborigènes. Nul n’avait encore découvert le secret des épidémies. Quand leur médecine traditionnelle s’y heurte en 1634-1640, note l’anthropologue Bruce Trigger, les Hurons, présumant quelque sorcellerie, torturent les suspects. Le mal persistant néanmoins, ils interdisent aux jésuites (préservés de la grippe!) la fréquentation des longues-maisons et même de villages entiers.
Tensions internationales
Encore aujourd’hui, au siècle des sciences médicales, quelques déclarations étonnent parfois.
«Le coronavirus est l’œuvre de Dieu, qui punit les pays qui nous ont imposé des sanctions», déclare Oppah Muchinguri, une ministre zimbabwéenne de la Défense, visant les États-Unis et l’Union européenne. «Leur économie souffre comme ils ont fait souffrir la nôtre», a-t-elle lancé lors d’un rassemblement. La pandémie, souhaite cette ministre, montrerait au président Donald Trump «qu’il n’est pas Dieu».
Mais il y a pire. Ainsi, le président américain s’en prend encore au «virus chinois» alors qu’en Chine d’aucuns ont laissé entendre que le coronavirus y a été semé secrètement par l’armée des États-Unis. Manœuvres de diversion de la part de gouvernants lents à combattre l’épidémie? Propagandes opportunistes entre puissances en guerre économique? Quoi qu’il en soit, voilà deux régimes aux prises avec des contestations politiques aussi menaçantes sinon plus que la pandémie en marche.
La recherche d’un vaccin dans les laboratoires n’est pas moins fébrile que la protection des frontières et des personnes à risque. L’Organisation mondiale de la santé ne devrait-elle pas coordonner les efforts des chercheurs, comme elle favorise la concertation des gouvernements? Les géants pharmaceutiques sont plutôt dans une course à qui dominera ce lucratif marché. Sans compter que des gouvernements sont aussi en quête d’une percée médicale prestigieuse.
En Allemagne, rapporte la presse internationale, le gouvernement accuse les États-Unis d’avoir tenté de s’approprier un projet de vaccin. «Les chercheurs allemands jouent un rôle de premier plan dans le développement de médicaments et de vaccins, et nous ne pouvons permettre que d’autres cherchent à se procurer l’exclusivité de leurs résultats», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Heiko Mas, dans une entrevue au groupe de presse régional Funke.
Son collègue de l’Intérieur, Horst Seehofer, aura confirmé des informations publiées par le quotidien Die Welt sur une tentative du président Trump de «faire main basse» sur un laboratoire allemand en proposant une grosse somme d’argent. Cette affaire, a répliqué un représentant américain, est «grandement exagérée». Washington aurait sollicité plus de 25 laboratoires et toute découverte «serait partagée avec le reste du monde». Chose certaine, le président n’hésite pas à promouvoir des potions de son choix.
Entre-temps, la pandémie et le combat pour en venir à bout laissent entrevoir, outre de grandes pertes humaines, des reculs économiques et sociaux considérables. Les secours publics et les accommodements sociaux atténueront dans l’immédiat le sort des individus et des entreprises, mais cela ne pourra pourvoir aux besoins plus longtemps si la pandémie se prolonge. La solidarité fait des miracles, certes, mais quel pays saura, sinon ramener une existence normale, du moins refaire la capacité d’affronter d’autres fléaux?
Les coûts de reconstruction, en effet, risquent d’entrer en conflit avec les investissements que les sociétés contemporaines se préparaient à consacrer aux bouleversements climatiques. Déjà, on peut se demander si les concertations politiques qu’exigent autant d’urgences prioritaires sauront l’emporter sur les rivalités et les affrontements en cours entre grandes puissances comme entre modestes pays.
Les temps de grand désordre font appel aux esprits courageux, mais ils ouvrent aussi la porte aux pires opportunistes.
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