Rarement au Québec une élection aura-t-elle compté autant de partis et laissé aux électeurs si peu de choix. À en croire les sondages, en effet, aucune des formations ne saurait s’attendre à former le gouvernement; par contre, plus d’une pourrait disparaître après le 1er octobre. Faut-il alors appréhender une campagne très maigre en propositions substantielles mais fort riche en tactiques déloyales? Déjà des promesses de subvention ou de privilège pleuvent auprès d’électorats «ciblés», cependant que les allégations de corruption n’épargnent plus personne.
Pourtant, quelques surprises pourraient survenir. Le statut du Québec ou la question linguistique, par exemple, ne seront pas cette fois un enjeu important. Les débats d’autrefois (sur les juifs, les Témoins de Jéhovah ou «les communistes») visaient à mobiliser les électeurs. Récemment un tel débat portant cette fois sur l’islam, aura surtout créé des divisions sociales. Pendant qu’on agitait le voile de femmes musulmanes, un autre enjeu aura éclaté, secouant parlements et sociétés: l’inconduite sexuelle impunie de maints hommes de pouvoir à l’égard des femmes.
Le voile des hommes était tombé! On en parle partout. Partis politiques et institutions publiques révisent leurs codes d’éthique. Bientôt nul ne sera candidat à une élection à moins d’avoir passé avec succès une enquête sur sa conduite personnelle. D’autres pratiques tant personnelles qu’institutionnelles à l’égard des femmes ou de minorités ethniques ou sociales ont été mises à jour. On doit ces révélations non pas aux partis politiques ou à d’autres institutions publiques, mais à des journalistes. Encore faut-il qu’une élection soit l’occasion d’un changement, et non d’une manipulation des citoyens.
Il faut dire que la classe politique souffre d’une perte de confiance du public. La chose est injuste pour les gens qui ont sincèrement œuvré au service de l’État et de leurs concitoyens. Mais elle n’est guère propice à recruter une relève qui soit à la hauteur des défis d’aujourd’hui. En même temps, la politique spectacle amène les partis et leurs chefs à rechercher des «vedettes» et non d’abord des personnes ayant fait la preuve de compétences ou de connaissances nécessaires aux fonctions législatives ou ministérielles.
Même des partis «démocratiques» tendent à se fermer sur eux-mêmes. Ils bénéficient, par exemple, d’un soutien financier de l’État qui leur permet d’avoir des conseillers que n’auraient pas nécessairement choisis les contribuables. Des citoyens eux-mêmes sont défranchisés quand le candidat de leur circonscription est choisi par l’organisation centrale ou par le chef. Ou quand leurs intérêts sont sacrifiés aux ambitions électorales du parti ailleurs au Québec. (C’est ainsi qu’en 1976 des libéraux du West-Island, abandonnés par le PLQ de Robert Bourassa, choisirent leurs propres candidats!)
La multiplication des partis d’opposition favorise le parti au pouvoir. Mais il suffit que l’un d’eux progresse dans la faveur populaire pour former à son tour le gouvernement. Il peut le faire sans avoir l’appui d’une majorité d’électeurs (ou même de députés s’il fait alliance avec un «petit parti»). Mais ce résultat suppose que les partis en lice soient les seuls maîtres de la campagne électorale. Il en va autrement si des forces extérieures injectent des fonds, comme le Québec en a fait récemment l’expérience avec les contributions illégales d’entreprises aux formations politiques.
Toutefois l’argent n’est pas le seul nerf de la guerre politique. L’information, vraie ou fausse, peut changer l’issue d’une lutte électorale. On se souvient encore de la parade des camions de la Brink’s fuyant le Québec à la veille du référendum de 1980 pour dissuader les électeurs d’appuyer l’indépendance du Québec. À longueur d’année des gouvernements eux-mêmes ont recours à des «fuites» d’informations «confidentielles» pour avantager une politique ou une décision. Il arrive même que des syndiqués de l’État le font lors de négociations.
Dans la campagne serrée qui s’annonce, un fonctionnaire mécontent, un policier dissident ou scandalisé, un militant d’une cause ou d’une autre auront beau jeu d’informer discrètement la presse d’une quelconque situation ou pratique répréhensible, document confidentiel à l’appui. Les fuites aux médias qui secouent la police, le ministère et la magistrature et les sujets délicats ou explosifs qu’elles divulguent dénotent un désordre grave au sein de l’administration publique québécoise. Si une telle «fronde» devait perturber l’élection, il faudrait parler de crise.
La différence est grande, en effet, entre une fuite d’information qui permet de crever un abcès dans la société ou dans le gouvernent et une autre qui vise à faire gagner ou perdre un parti lors d’une élection. Entre deux élections n’importe qui peut lancer une affaire scabreuse. À l’approche d’un scrutin, toutefois, les cabaleurs s’abstiennent de dévoiler des scandales par crainte d’être taxés eux-mêmes de salissage, de mensonge ou de mépris envers les électeurs. Mieux vaut laisser des médias, plus crédibles, trouver la bombe…
Les fuites aux médias n’informent pas nécessairement les électeurs sur les vraies lacunes de l’État ni sur les besoins véritables de la population. Pas plus, du reste, que les publicités électorales ou les programmes officiels dont la presse écrite tapisse ses pages politiques dans les derniers jours d’une campagne. C’est des semaines sinon des mois d’avance que des journaux indépendants, reflétant les priorités et les enjeux qui importent, devraient donner aux électeurs qui iront voter de quoi éclairer leur choix et à ceux qui veulent s’abstenir les bonnes raisons d’aller aux urnes.