Le premier ministre Justin Trudeau a laissé couler des larmes abondantes tandis qu’il offrait des excuses d’État aux Premières Nations du Labrador et de Terre-Neuve. Il a recommencé cinq jours plus tard à l’occasion des excuses officielles offertes aux Canadiennes et Canadiens persécutés en raison de leur orientation sexuelle.
Il n’en fallait pas plus pour que défilent en continu les commentaires moqueurs voire injurieux dénonçant ce qui correspondait pour une majorité à un mauvais jeu d’acteur, certains allant jusqu’à mettre en doute l’équilibre mental de M. Trudeau. Pour leurs auteurs, il est impensable qu’un chef de gouvernement puisse se laisser aller à de tels épanchements.
Toute cette agitation autour des larmes du premier ministre a pu laisser dans l’ombre les motifs pour lesquels elles ont coulé.
En effet, les autochtones du Labrador et de Terre-Neuve avaient été exclus des excuses formulées par Stephen Harper en 2008, ce qui pouvait laisser croire que le gouvernement fédéral n’avait aucune responsabilité dans le placement forcé de 900 enfants dans des pensionnats autochtones visant à les couper de leur culture et de leurs traditions.
En ce qui concerne les citoyens LGBTQ2 – pour reprendre le libellé des excuses officielles – ils sont nombreux à avoir subi de graves préjudices alors qu’ils étaient pourchassés et condamnés criminellement en raison de leur orientation sexuelle. Plusieurs d’entre eux pourront ainsi voir leur dossier criminel lavé de telles sanctions.
Excuses d’un pape
D’autres excuses ont connu moins de visibilité à quelques jours seulement de celles du gouvernement canadien. Peu de gens d’ici sont sensibilisés à la situation des Rohingyas, une minorité musulmane fortement persécutée par l’armée birmane et par la majorité bouddhiste en Birmanie. Ceux-ci sont massacrés par centaines et la grande majorité a été forcée à l’exil, surtout au Bangladesh qui a accueilli au moins 600 000 réfugiés au cours des derniers mois.
Au lendemain d’une visite où il s’est entretenu avec la cheffe de facto de gouvernement, Aung San Suu Kyi, sans pouvoir exprimer en public la situation précise des réfugiés Rohingyas, le pape François s’est empressé d’aller à la rencontre de 16 d’entre eux à Dacca, au Bangladesh, en profitant pour leur demander pardon. Il est allé jusqu’à affirmer que les Rohingyas doivent être considérés comme un «signe de la présence de Dieu aujourd’hui».
S’il existe aussi une petite minorité chrétienne birmane qui est régulièrement persécutée, c’est le sort des Rohingyas qui a ému le pape au point où il a versé lui-même quelques larmes lors de son discours, à l’instar du premier ministre Trudeau. Mais le pape ne s’excusait pas pour des exactions commises par l’Église catholique ou par ses prêtres, mais pour celles dont la communauté internationale est complice par omission, ne faisant pas ce qu’il faut pour forcer le pays à traiter sa minorité avec la dignité requise.
Des excuses qui ne viennent pas
Il y a enfin une autre situation qui est troublante, en revenant au pays. Un missionnaire oblat a été présent durant 40 ans en mission chez les Innus de la Basse-Côte-Nord. Lors du passage de la Commission d’enquête sur les filles et les femmes autochtones disparues, le religieux décédé en 1992 a fait l’objet de plusieurs allégations d’inconduite sexuelle envers des femmes et des jeunes filles. Or, l’évêque de Baie-Comeau, appelé à commenter la situation, a refusé de prendre parole dans ce dossier.
Cela n’est pas sans rappeler d’autres situations semblables où il devient difficile pour les évêques de prendre parole pour les victimes de telles violences physiques et psychologiques, souvent pour des raisons juridiques. Nous le savons, certains diocèses peuvent faire l’objet de recours collectifs pour avoir insuffisamment protégé les victimes quand ce n’est pas carrément de les ignorer pour éviter toute disgrâce publique. Le silence devient alors l’unique défense…
Il est difficile de comprendre le silence de Mgr Blais autrement que dans ce contexte.
Or, le pape montre le chemin en offrant des excuses au nom de ceux qui commettent l’injustice. Ce faisant, il indique une chose essentielle: plus que tout enjeu administratif, politique ou juridique, il importe de penser aux personnes d’abord.
Des femmes autochtones – encore – ont vécu des années avec les séquelles d’actes posés par un «dieu» adulé de leur communauté et admiré par l’Église. Leur courage à lui seul vaudrait bien que leur évêque leur adresse une parole de consolation. Plus le temps passe et plus sa prise de parole (et ses larmes?) seront perçues comme venant trop tard.