Trois mois. Du 22 juin au 20 septembre, c’est tout ce qu’il aura fallu pour constater que le gouvernement de la Coalition Avenir Québec n’avait tiré aucune leçon de ses tractations avec les leaders religieux au sujet des mesures sanitaires affectant les lieux de culte.
Le 22 juin était la date fatidique à laquelle, enfin, les lieux de culte avaient pu rouvrir leurs portes, après des semaines d’attente de plus en plus impatiente et des «dialogues» difficiles entre le gouvernement et la Table interreligieuse de concertation mise sur pied durant le confinement, regroupant des représentants catholiques, anglicans, évangéliques, juifs, musulmans, et du Centre canadien d’œcuménisme. La Table ne s’était d’ailleurs pas gênée pour souligner la méconnaissance profonde des religions de la part du gouvernement.
De l’impatience à l’érosion
Vers la fin du printemps, les citoyens observant des rites et rassemblements religieux ont troqué leur impatience pour un sentiment de mépris de la part de la CAQ. Après trois mois de rites adaptés aux mesures sanitaires, selon chaque tradition religieuse, voilà que les restrictions annoncées dimanche soir selon les codes de couleurs font passer le nombre de personnes admises à l’intérieur des lieux de culte de 250 à 50 (jaune) à 25 (orange).
Les croyants y voient une claque en pleine figure: en quoi être assis, masqués, sans chanter, avec la distanciation appropriée, leur vaut d’être classés dans la même catégorie que les lieux détenant un permis d’alcool plutôt qu’une salle de spectacle? Le gouvernement Legault vient de franchir un nouveau seuil dans l’érosion de ses relations avec les groupes religieux de la province. L’impression d’avoir été traités comme des citoyens de seconde zone se transforme en certitude. L’économie des pains et des jeux prime encore sur le bien-être spirituel et la liberté de pratique communautaire.
Complexité et incohérence
Par ailleurs, en dictant de nouvelles restrictions, le gouvernement s’appuie-t-il sur des données? La majorité des lieux de culte appliquent une discipline rigoureuse dans l’accueil, le placement par des bénévoles, le nettoyage, voire la tenue de registres. S’il a des raisons de croire que ce système risque de faillir dans les prochains jours, pourquoi ne pas le dire franchement?
À moins qu’il ne s’agisse d’une décision pour déguiser une mesure qui aurait pu passer pour antisémite? En effet, depuis la fin de la semaine dernière, des synagogues doivent se limiter à 50 personnes, en réponse à des craintes d’éclosion au sein de certaines communautés au moment où débute une période de fêtes religieuses juives. Deux jours plus tard, la mesure était étendue à l’ensemble des lieux de culte de la province.
Certes, une politique d’ensemble, plutôt qu’une approche à la pièce, facilite la gestion de la santé publique. Il faut aussi se rappeler, peu importe notre affiliation religieuse, que nous sommes appelés à une solidarité entre croyants. Mais encore là, une telle solidarité est mise à mal lorsque le gouvernement maintient des incohérences, comme celle de limiter le nombre de personnes dans un lieu de culte, sans pour autant toucher aux limites des salons funéraires aux salles bien plus petites que des églises ou synagogues. C’est sans parler de laisser se dérouler des rassemblements anti-masques sans distanciation…
Un choix à faire: confiance ou conflit?
Les croyants ont sacrifié des fêtes importantes, des pèlerinages, des sacrements, des funérailles pour se conformer aux exigences de la Santé publique. Et ils ont l’impression aujourd’hui que leurs efforts ont été vains. Le lien de confiance est fragilisé.
En choisissant de remettre en vigueur des restrictions pour des lieux de culte qui ont observé le plus scrupuleusement possible les pratiques sanitaires exigées, le gouvernement ouvre la porte au conflit, voire à la désobéissance, s’il faut en croire des commentaires et appels dans les réseaux sociaux. Ce qui se joue actuellement entre le gouvernement et les groupes religieux relève donc d’un enjeu sociétal, voire d’une cassure citoyenne. L’enjeu outrepasse les sensibilités religieuses : en contexte de pandémie, le premier devoir d’un gouvernement est d’assurer la santé des citoyens, ce qui passe nécessairement par l’obligation de susciter une forte adhésion aux mesures sanitaires.
Pour rattraper ce qui se présente comme une erreur politique, le gouvernement aurait intérêt à dialoguer avec les groupes religieux, démontrer que la confiance est réciproque et trouver des solutions ensemble. Autrement, en bout de ligne de ce jeu dangereux, c’est le virus qui gagnera.
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