Les lieux de culte rouvriront après les centres commerciaux, a annoncé le gouvernement du Québec le 25 mai. Les commerces recommencent d’ailleurs à ouvrir le dimanche, mais pas les églises. Faudrait-il qu’il y ait des marchands dans les temples pour en permettre l’ouverture? C’est à croire que le raisonnement du déconfinement ne serait rien d’autre qu’économique, comme on s’en doutait lorsqu’il était question d’ouvrir les écoles au début mai pour permettre le retour au travail des parents. On rêvait d’un monde changé, mais plus ça change, plus c’est pareil, et le tout-économique est réaffirmé comme voie de salut.
Dans son plan de déconfinement réparti en diverses «phases» présenté lundi, le gouvernement Legault remet aux calendes grecques l’ouverture des lieux de culte, où ils attendent dans les limbes en compagnie des croisières, des grands rassemblements, des bars et… de la phase 2 des restaurants. Car oui: il sera possible d’entrer dans un restaurant bien avant d’entrer dans un temple.
Dans les milieux religieux, l’agacement devient de plus en plus évident. L’évêque auxiliaire de Québec, Marc Pelchat, a manifesté une impatience mesurée devant cette situation dans une entrevue avec Présence il y a deux semaines. Depuis, tant l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) que les évêques eux-mêmes multiplient les appels à la patience. Or, on sent bien chez les catholiques une pression de plus en plus forte pour retrouver les églises, ne serait-ce que pour y prier seul ou tenir des funérailles en petits groupes.
On disait pourtant il y a plusieurs jours que le processus était bien entamé et que la communication était enfin ouverte avec le gouvernement après des semaines de piétinement. Or, en entrevue au Journal de Montréal, le secrétaire général de l’AECQ, Mgr Pierre Murray, regrettait lundi qu’il n’y ait «pas de dialogue». Faut-il en comprendre que les canaux n’étaient pas si ouverts que cela? Doit-on y voir une méconnaissance des autorités gouvernementales par rapport aux communautés de foi et leurs réalités? Doit-on penser qu’une méfiance existe vis-à-vis des dérapages possibles dans une reprise des pratiques cultuelles qui poseraient des risques de nouvelles contaminations?
Dans les dossiers polarisants de la Loi 21 sur la laïcité et la refonte du cours Éthique et culture religieuse, nous savons que le gouvernement s’est entièrement passé de l’avis des groupes religieux, sans parler des consultations dont la forme et le fond étaient risibles. Le gouvernement Legault respecte-il assez les communautés de foi et leurs leaders pour vivre un véritable dialogue sur les questions qui les concernent? Beaucoup de groupes religieux se sentaient déjà méprisés par les orientations de la CAQ et la situation vis-à-vis le déconfinement ne risque pas de les faire changer d’avis.
Les communautés chrétiennes, juives et musulmanes auront donc vécu respectivement le Carême et Pâques, la Pessah, le Ramadan et l’Aïd el-Fitr dans le confinement, en organisant des rencontres de prière par visioconférence et en faisant le deuil des rites et rassemblements qui leur sont chers. Qui plus est, les ministres du culte n’auront pu que très rarement jouer leur rôle d’accompagnement des fidèles dans le contexte des décès survenus durant le confinement.
En fait, toute la population, croyante ou non, a eu à s’adapter à de l’inédit. Malgré la lourdeur du confinement prolongé, globalement, l’importance des relations humaines a repris le dessus sur la course folle du quotidien.
Cette pause obligée, du côté des fidèles, a permis de poser un regard neuf sur le sens de faire communauté au nom d’une même foi.
Les évêques anglicans de Montréal et de Québec, respectivement Mary Irwin-Gibson et Bruce Myers, ont rappelé à quelques reprises que même si les bâtiments sont fermés, «l’Église» en tant que communauté de croyants demeure bien ouverte. Quelle «Église» doit-on rouvrir, demande notamment l’évêque catholique de Saint-Jean-Longueuil, Claude Hamelin, dans une nouvelle lettre pastorale, entendant par là que l’Église est appelée à évoluer.
Changer de vision au sein des communautés de foi ne se fera pas du jour au lendemain. Les derniers mois ont donné lieu à des initiatives créatives qui ont permis à certains fidèles de redécouvrir la fécondité des temps de prière, du silence ou de la musique. Plusieurs communautés ont déjà manifesté leur appréciation de ces moments parfois partagés en ligne et souhaitent d’emblée poursuivre l’expérience à long terme, y voyant l’occasion de mobiliser les gens et de répondre au besoin d’espaces différents pour goûter au sacré. Ce qui n’empêche pas ces mêmes personnes d’avoir légitimement envie de se rassembler à nouveau à l’intérieur d’un lieu de culte. Après tout, cette expérience pluriséculaire est ancrée profondément dans la vie des communautés de foi.
La fermeture prolongée des lieux de culte met en évidence les lacunes du gouvernement en matière de compréhension des phénomènes religieux. Un lieu de culte n’est pas qu’une salle de rassemblement: c’est un espace de partage, de silence, d’engagement, où se manifestent plusieurs des préoccupations existentielles des Québécoises et Québécois, qui rêvent non juste que « ça va bien aller », mais que ça va aller autrement que le dicterait l’évangile de l’économie néolibérale.
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