En 2015, des informations partielles circulaient au sujet d’un évêque canadien dont la gestion dite défaillante exaspérait son clergé au point d’inquiéter Rome et d’amener le nonce apostolique à intervenir. Dans le cadre d’une entrevue avec le nonce apostolique, Mgr Luigi Bonazzi, nous avions voulu valider certaines informations relativement à ce dossier. Il avait d’abord esquivé la question en insistant sur le fait qu’il ne fallait surtout pas en parler. La question était «trop délicate» et il n’en parlait qu’«avec les intéressés». Devant nos questions, son malaise était devenu évident. S’il acceptait de s’asseoir avec un média, précisa-t-il en haussant le ton, c’était pour «aider à aller de l’avant», pas pour «commencer à enquêter sur ça». Il n’a jamais démenti l’existence du problème, mais refusait catégoriquement d’en parler. Les années ont passé, la crise s’est résorbée, l’évêque est toujours en poste. Et jamais rien d’officiel n’a été communiqué.
Décembre 2020. Le témoignage d’un homme de Québec, Christian Vachon, est mentionné dans le jugement de condamnation rendu le 16 décembre par le tribunal correctionnel de Paris dans le procès de l’ancien nonce apostolique Luigi Ventura, qui fut en poste au Canada de 2001 à 2009, puis en France de 2009 à 2019. M. Vachon a décrit des gestes similaires subis de la part de Mgr Ventura lorsque ce dernier était nonce au Canada, en 2008.
La semaine dernière, il racontait qu’après avoir informé la nonciature de sa mésaventure, en février 2019, mais avant qu’il n’en parle à Présence, le nonce l’avait appelé pour l’inviter à bien discerner s’il fallait vraiment rendre l’histoire publique, de peur de causer du tort.
Discrétion
Ces deux exemples illustrent bien en quoi la discrétion et la culture du secret sont profondément ancrées dans la vie des nonciatures. Certes, il peut sembler illusoire de reprocher à un nonce de cultiver la discrétion. Après tout, il s’agit d’une qualité essentielle de son travail diplomatique. Mais jusqu’où cette discrétion doit-elle aller et qu’implique-t-elle pour les citoyens canadiens?
Dans le cas de la victime alléguée de Mgr Ventura au Canada, aucun élément public tangible – ni appel, ni lettre – ne permet de croire que la nonciature a fait plus que le minimum pour inciter d’autres éventuelles victimes à se manifester. Ce minimum étant un appel pour tenter de faire en sorte que l’histoire ne soit pas révélée au public.
Dans le cas des problèmes au sein d’un diocèse, on peut comprendre un nonce de ne pas ébruiter lui-même l’affaire. Mais se murer dans le silence, alors qu’il détient les clés de l’issue de la situation – car ce ne sont ni les catholiques ni les citoyens canadiens qui ont le dernier mot quand un problème de leadership survient dans un diocèse au pays, c’est Rome – est-il encore une posture acceptable et suffisamment respectueuse de la population locale?
Contrairement aux autres ambassades et consulats qui servent d’abord les ressortissants du pays représenté, une nonciature sert les intérêts du Saint-Siège et du système ecclésial. Les nonces sont des maillons primordiaux dans les processus de nomination d’évêques, responsables de préparer les fameuses listes qui sont ensuite envoyées à Rome pour aider à déterminer qui sera placé à la tête de tel ou tel diocèse. Ce processus de consultation est mené de manière secrète, comme ne manque jamais de le souligner la correspondance qui accompagne toute demande de consultation pour la préparation de cette liste. Les listes ne sont jamais rendues publiques et les catholiques ignorent toujours les raisons qui ont poussé Rome à choisir un candidat plus qu’un autre. Pour résumer, cela revient à dire que la tenue du processus de sélection des hommes choisis pour diriger la destinée des diocèses canadiens est sous-traitée par un État étranger. La reddition de comptes et les obligations de saine gestion ne se font donc pas envers des citoyens, mais envers le Saint-Siège.
Face à la justice
Mais l’enjeu de la redevabilité envers les populations locales se pose autrement lorsqu’un employé d’une nonciature se retrouve dans l’eau chaude. En 2013, Mgr Josef Wesolowski, nonce en République dominicaine, était accusé de pédophilie. Le Vatican l’a ramené d’urgence et a refusé de l’extrader en Pologne. Il est mort la veille de son procès au Vatican. En 2018, Mgr Carlo Alberto Capella, ancien membre du personnel de la nonciature à Washington, a été condamné à cinq ans de prison par un tribunal du Vatican pour possession et distribution de pornographie juvénile. Washington avait demandé que le Saint-Siège lève son immunité diplomatique, ce qui ne fut pas fait.
À l’été 2019, la levée de l’immunité de l’ancien nonce Luigi Ventura, afin que ce dernier puisse subir son procès en France, constituait une rare exception. Mais cette levée est pour l’instant partielle: elle concerne l’immunité de juridiction, pas l’immunité d’exécution. Ainsi, Rome acceptait qu’il soit jugé en France, mais n’accepte pas encore qu’il subisse les conséquences de ce procès.
Entre la culture du secret et l’immunité, les nonces jouissent d’une position qui n’est pas de nature à encourager la transparence.
La condamnation de Mgr Ventura survient alors que Luigi Bonazzi, qui était nonce au Canada depuis 2013, vient d’être nommé en Albanie. Il quitte quelques jours après que son nom se soit retrouvé dans un rapport indépendant rendu public le 25 novembre 2020 au sujet des cafouillages au sein de l’archidiocèse de Montréal qui ont permis au prêtre Brian Boucher d’agresser des mineurs pendant plusieurs années. Aucun élément tangible ne permet de croire que la fin de sa «mission» au Canada soit liée au rapport Capriolo.
Quelle redevabilité envers les Canadiens?
Cependant, deux éléments importants de ce rapport concernent la nonciature à Ottawa. Premièrement, le rôle de Mgr Bonazzi, qui aurait notamment omis de faire parvenir à Rome des documents importants dans ce dossier et qui serait intervenu personnellement pour empêcher un autre évêque écorché par le rapport, Mgr Anthony Mancini, ancien auxiliaire à Montréal devenu archevêque d’Halifax-Yarmouth, de démissionner. Deuxièmement, le fait que l’idée de cacher des documents à la nonciature ait été évoquée au sein de l’archidiocèse de Montréal. À cet égard, les parlementaires canadiens feraient peut-être bien d’exiger du bras diplomatique du Saint-Siège au Canada des garanties pour s’assurer qu’aucune tentative de soustraire volontairement des documents incriminants à la justice canadienne n’ait réellement eu lieu. Une telle manœuvre serait un affront envers l’administration de la justice au pays.
Or ni la nonciature ni Mgr Bonazzi n’ont encore réagi publiquement sur le rapport Capriolo. Ils ont aussi décliné les questions des médias à ce sujet.
Rien n’indique que le nonce a mal agi ou enfreint des lois. Mais si les Canadiens veulent bien reconnaître le droit de la nonciature à la discrétion, ils ont aussi le droit d’avoir quelques réponses et quelques assurances sur la bonne tenue des dossiers qui les concernent directement.
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