En lisant La joie de l’amour, je me suis réjoui qu’un pape démontre une compréhension plus juste de l’amour conjugal. En effet, la parole magistérielle de l’Église sur la famille, l’amour et la sexualité s’est souvent placée à une hauteur doctrinale qui ne rend pas suffisamment compte de la vie des couples qui cherchent à simplement vivre leur amour. Mais le souffle arrive-t-il trop tard?
Dans Amoris laetitia publié vendredi, le pape François a choisi d’exposer l’amour comme un chemin avec sa dynamique propre, soumis à la réalité, vécu au sein de la condition humaine qui est elle-même une lutte incessante pour le bonheur au cœur de la fragilité et de la blessure… Cette vision de l’amour conjugal représente un changement significatif dans la posture de l’Église. Celle-ci ne devrait plus se contenter de plaquer une image idéalisée du couple et du sacrement en s’attendant à ce que les époux y correspondent dès que les consentements sont échangés!
Un chemin, c’est une distance à parcourir, une destination à atteindre. Le point de départ, c’est lorsque le couple évoque pour la première fois le projet de s’engager mutuellement. La ligne d’arrivée, ce n’est rien de moins que l’idéal d’une communion parfaite.
Marié depuis 32 ans, je doute sincèrement que cet idéal ne soit encore atteint, et c’est tant mieux! Car la dynamique interne de l’amour empêche qu’il devienne inerte, statique ou achevé.
L’amour, comme un voyage, rencontrera forcément toutes sortes de situations qui le mettront au défi de croître, que ce soit après le démarrage, les accélérations, les freinages, les virages, les distractions, les accidents, les pauses, les congestions, les contournements, les ravitaillements, les attraits désirables, les embarquements, les débarquements, ou parfois même les changements de copilote!
Parler de chemin pour illustrer la vie du couple, c’est se la représenter telle qu’elle est. Jusqu’à présent, l’Église a toujours insisté sur une doctrine et des normes qui paraissaient souvent inatteignables, au point de ne plus inspirer.
Voilà qu’au contraire, le ton de ce long document vient redonner un peu de souffle.
Trop peu, trop tard?
Ce message arrive-t-il trop tard au Québec? Contrairement à des évêques qui l’ont trouvé adapté à notre situation, je vois plutôt que l’Église d’ici a perdu le contact avec deux, voire trois générations de couples qui lui ont tourné le dos. Il est peu probable que ceux-ci reviennent soudainement vers leur paroisse avec l’espoir qu’ils seront considérés autrement. Ils sont désormais ailleurs.
Le document pontifical touchera davantage les pasteurs et acteurs et actrices de la pastorale du mariage. Il confirme l’importance d’une formation adéquate sur la famille. Le pape valorise même l’expérience des prêtres mariés (chez les orthodoxes). Peut-être faut-il y voir un clin d’œil pointant vers l’importance de se référer à une connaissance pratique des problèmes complexes auxquels sont confrontées les familles.
Les questions plus difficiles à traiter pour l’Église ne sont pas en reste. L’union de fait, le divorce, le réengagement et la recomposition familiale sont des situations très répandues au Québec. L’exhortation propose de les appréhender en cherchant à reconnaître les valeurs positives vécues plutôt que de les dénoncer expressément comme des voies interdites. Il invite à inclure plutôt qu’à exclure et va même, dans une note discrète, jusqu’à envisager l’aide des sacrements, dont l’eucharistie, dont l’accès pour les couples divorcés et remariés continuent d’alimenter les débats chez les catholiques.
Parmi les zones d’ombre, les personnes homosexuelles ne reçoivent aucun message adressé directement à elles. Au contraire, la clarté de la doctrine est ici rappelée avec force: il n’y a aucune analogie possible, «même lointaine», entre l’amour homosexuel et le mariage tel que vu par l’Église. Dans un document dont on a vanté les mérites pastoraux, il est regrettable qu’aucune parole de réconfort ou d’encouragement franche ne leur ait été réservée.
Cette exhortation ne change rien à la doctrine catholique sur le mariage. Ce n’est d’ailleurs jamais l’objectif d’une exhortation. Mais elle porte un changement de ton majeur. En bon jésuite, le pape sait qu’il doit compter sur le temps. Toutes les cultures évoluent, y compris la culture ecclésiale. Par une approche des situations complexes basée sur la bienveillance et l’accompagnement, sur l’inclusion et le discernement, la culture pastorale de l’Église ne pourra que s’en trouver profondément et positivement transformée, au grand dam des puristes qui voudraient qu’elle demeure à tout jamais figée comme une image.
Une image de famille parfaite.