L’accusation revient sans cesse sur le tapis, comme un truc collant dont on essaie de se débarrasser sans y parvenir. Cette semaine en France, par exemple, une équipe de journalistes a mis le doigt sur la situation française. À en croire leur reportage, 25 évêques auraient couvert les actes pédophiles de 32 agresseurs sexuels. Jusque-là épargnée par les nombreux scandales qui sont déterrés dans des pays comme le Canada, les États-Unis et l’Australie, l’Église de France pourrait désormais s’approcher du podium. Quant à la situation mondiale, le pape lui-même a lancé le chiffre de 2% de prêtres abuseurs en 2014, ce qui indique bien qu’il s’agit d’un vrai problème.
Toute forme d’agression contre les enfants est devenue la valeur suprême dans l’échelle d’indignation de nos contemporains. Les lois protégeant l’enfant ont foisonné un peu partout à partir des années 1970. Il est courant pour nous, aujourd’hui, de savoir reconnaître ce qu’est un abus sexuel sur mineur, mais cela n’était pas si évident il y a à peine cinquante ans, y compris pour les gens d’Église.
Si de tels abus ont certainement toujours eu lieu, les enfants n’ont pu en être protégés – ou du moins être reconnus comme victimes – que depuis que les lois ont établi leur caractère criminel. Là aussi, même si les lois sont connues et sévères, cela ne semble pas empêcher un pédophile de passer à l’acte, que ce soit par la consommation et la distribution de pornographie juvénile ou, pire, par le fait d’abuser un enfant par des agressions allant jusqu’au viol répété.
Lorsque vient le temps de juger ces pédophiles, nous sommes tous prompts à les condamner et à vouloir leur bannissement. À preuve ces listes de prédateurs sexuels que les gens voudraient rendre publiques afin de les identifier et d’avertir leur voisinage des quartiers où ils logent.
L’Église n’est pas en reste
Puisque ce mal touche plus particulièrement les hommes, il va de soi que l’Église catholique aura «abrité» sa part et peut-être plus que sa part, si l’on se fie à certaines études, bien que les chiffres ne soient pas si limpides que certains veulent le croire. Nous pourrions, à tout le moins, reconnaître que le problème de pédophilie concerne les membres du clergé et des communautés religieuses dans un ordre de grandeur semblable à celui de la société de laquelle ils sont issus et où l’on retrouve souvent un même modèle d’hommes en position d’autorité sur des enfants (entraîneurs sportifs, proches parents, éducateurs, etc.).
Mais en vertu de la responsabilité morale de l’Église et des prêches qu’elle sert par le ministère de ses prêtres à l’ensemble des baptisés, ceux-ci seraient en droit de s’attendre que celui qui fait la morale soit le premier à observer ce qu’il dit! Ce serait bien mal connaître la nature humaine de croire que tous les prêtres sont vertueux comme des anges! C’est pourtant ce que longtemps des générations de parents ont cru en laissant leur progéniture en toute confiance aux mains de n’importe quel prêtre sans jamais s’inquiéter.
Dans l’Église, il y a les abuseurs, bien sûr, mais la problématique se double du fait qu’une culture du silence bien enracinée tend à protéger l’institution prioritairement sur les victimes. Depuis quelques années, en particulier grâce au mot d’ordre «tolérance zéro» de Benoît XVI, les règles internes ont été modifiées et il serait exceptionnel – et bien davantage répréhensible – de voir un évêque couvrir des actes d’un prêtre toujours en fonction, par exemple en appliquant la politique des déplacements sans fin. Or, le reportage de France 2 laisse croire que cela pourrait être le cas en France pour des prêtres accusés qui n’auraient pas été relevés de leurs fonctions.
Dire et faire
On entend souvent que l’Église ne peut plus et ne devrait plus se sentir autorisée à défendre les valeurs morales puisqu’elle a été souvent prise en flagrant délit de couvrir des abus, d’encourager des victimes à se taire en favorisant des ententes hors cour confidentielles afin d’éviter des poursuites plus coûteuses et donc de mettre en veilleuse la valeur de compassion qu’elle ne cesse par ailleurs de valoriser.
Le scandale vient d’abord de l’abuseur, mais il est souvent amplifié par celui qui le couvre. Pour demeurer une instance crédible dans la promotion des valeurs éthiques, l’Église, surtout par ses évêques et son chef suprême, devra faire la preuve qu’elle sait réellement se mettre du côté des victimes, quitte à ce que certains diocèses déclarent faillite à la suite de poursuites civiles de regroupements de victimes.
Pour redevenir crédible, le passage obligé est celui de l’humilité et de la vérité. L’Église devra devenir encore plus fragile pour que des hommes et des femmes brûlant d’Évangile puissent recommencer à opérer une certaine attraction, non pas seulement sur la personne de Jésus Christ, mais également sur la communauté chargée de l’annoncer. Mais ceux-ci auront toujours à porter le fardeau du passé sans pouvoir jamais s’en dissocier complètement, comme si ce n’était que l’affaire d’une autre époque. Après l’Inquisition et les Croisades, de nombreux catholiques font chaque jour l’expérience d’un passé qui leur reste collé à la peau. Celui des prêtres pédophiles et abuseurs n’en formera qu’une couche de plus.