Ce ne sont ni les plus lents ni les plus petits qui gagnent la course au ravitaillement dans les supermarchés ces jours-ci. Je cherche le passage de la Bible, du Talmud, voire du Coran, qui m’exhorterait à courir acheter du papier hygiénique comme si j’entrais demain dans un abri nucléaire.
Que signifie être prévoyant en contexte de pandémie? Comment définir et gérer la prudence collective qui enrayerait la progression du virus? «La sagesse de ce monde est folie devant Dieu», notait saint Paul.
La sagesse de ce monde est peut-être d’empiler les denrées, mais cela génère une folie qui laisse peu ou pas de place aux plus petits.
Prévoir et pourvoir
La prudence et la prévoyance ont la même racine étymologique signifiant voir en avant ou prévoir. Dans le langage spirituel, cela équivaut à la providence. À la différence que « providence » a aussi la nuance de « pourvoir ». Mais comment pourvoir quand on ne peut pas prévoir? On comprend aisément que la peur de manquer de nourriture et d’articles nécessaires au quotidien cause un mouvement de panique, par définition déraisonnable.
Le réflexe d’amasser des biens est pourtant bien contraire à plusieurs enseignements spirituels ou séculiers, qu’il s’agisse de l’invitation au détachement ou à l’ascèse, au minimalisme et à la simplicité volontaire, ou au partage qui présuppose qu’on n’accumule pas égoïstement. Il y a dans cette apparente folie la sagesse de faire confiance; faire confiance à la générosité et au partage des uns et des autres.
Je relisais le chapitre 16 du livre de l’Exode, commun aux juifs et aux chrétiens, où le peuple hébreu qui fuyait l’Égypte s’est retrouvé au désert sans certitude de pouvoir manger chaque jour. Ils reçoivent l’instruction divine de cueillir, chaque matin, un aliment inconnu qu’ils nommeront «manne», de l’hébreu «man hou» («qu’est-ce que c’est?»), sorte de rosée granuleuse qui se formait sur les arbustes (fort probablement composée d’excréments d’insectes…). Or, l’instruction commande de ne pas en faire provision. Ceux qui en font voient leur petit butin pourrir… Leçon de confiance au jour le jour.
Bien plus tard, un dénommé Jésus dira: «À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (Évangile selon Jean 13,35). Si les mesures de prévention de la pandémie du coronavirus se poursuivent, je me demande bien quels témoignages d’amour on verra surgir. Quel sera le visage de l’amour au temps du coronavirus?
Créativité et simplicité
Les mesures d’annulation et de suspension d’activités académiques, culturelles et cultuelles peuvent sembler drastiques. On a intérêt à répéter que nous sommes responsables les uns des autres et qu’on ne doit pas risquer d’être des porteurs de virus auprès de personnes déjà fragilisées par leur âge ou leur état de santé.
Si les mesures d’annulation des messes – annoncées cette semaine – devaient perdurer, ne serait-ce pas une belle occasion pour de nombreux croyants de renouer avec la créativité et les multiples manières de prier, célébrer, faire communauté?
Une messe télévisée? Pourquoi pas. En autant que l’eucharistie ne devienne pas la chose de quelques prêtres isolés devant leur caméra, tentés de devenir des héros du sacrement. Il y a en effet bien des manières de vivre la communion qui débordent amplement du ciboire.
Voilà une occasion pour les communautés de croyants qui ne peuvent se réunir de se prendre en main! Inviter des gens pour un temps de prière et de repas, à la maison ou dans un café. Lire ou relire un livre saint, des ouvrages spirituels. Communier à la présence du divin en visitant les aînés esseulés, en partageant des denrées, en gardant les enfants des parents découragés et impatientés!
Bref, en faisant que l’amour devienne viral.
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