L’été est pour plusieurs l’occasion de prendre part à un mariage ou un baptême. C’est en voyant récemment des gens rassemblés pour un sacrement que je repensais à l’histoire du prêtre-gifleur qui a choqué tant de monde il y a quelques semaines.
Partagée des milliers de fois, la fameuse vidéo montrant un vieux prêtre catholique de 89 ans giflant un bébé de six mois pour qu’il cesse de pleurer n’a pas manqué de faire scandale, bien sûr avec raison. Ce qui m’étonne toutefois, c’est l’ampleur de la réaction chez les catholiques bien rangés, conduisant l’évêque de ce prêtre trop âgé à le suspendre de toutes célébrations de baptême et de mariage.
Reculons de quelques dizaines d’années seulement… À une époque où les médias sociaux n’existaient pas, une telle frasque n’aurait jamais fait l’objet de retentissement. Les parents de ces générations n’auraient probablement même pas osé critiquer ouvertement le curé et encore moins lui retirer leur enfant des mains.
Indépendamment de la «violence» du geste posé par le célébrant, visiblement en perte de moyens devant un enfant en crise, il y a derrière cette histoire relativement banale quelque chose qui se révèle possiblement comme un signe des temps.
Une Église à bout d’âge…
La moyenne d’âge des prêtres en Amérique du Nord et en Europe dépasse largement l’âge de la retraite. Dans la société en général, quiconque a passé cet âge peut toujours continuer à rendre des services, mais on ne lui demande que ce qu’il est en mesure de faire, adaptant les tâches en fonction des capacités.
Mais dans l’Église, la relève sacerdotale n’est pas suffisante pour réaliser les tâches courantes. Lorsqu’on ne trouve plus de prêtre actif pour un baptême, un mariage ou des funérailles, le premier réflexe est de chercher parmi les collaborateurs retraités. Si vous demandiez à quelques prêtres qui font partie de cette catégorie, vous seriez surpris de constater leur contribution encore importante, année après année, la maladie étant la seule justification d’un retrait non culpabilisant. On leur demande trop et durant trop longtemps. Ils répondent «présents» alors qu’ils ne le devraient pas. Que faire?
En poursuivant avec une logique de ministres «consacrés» pour accomplir ses rites, l’Église se condamne toujours plus à prendre du retard sur la réalité des familles contemporaines. Une partie seulement de celles-ci ne s’adressent plus à l’Église que dans des moments ponctuels qui marquent les grandes étapes de la vie. Et c’est bien dans ces situations où les qualités d’accueil inconditionnel, d’écoute empathique et de souplesse sont les plus essentielles à une action signifiante de l’Église.
Or, sans faire de l’âgisme, le personnel ordonné répond de moins en moins à ces critères. Et l’obstination des évêques à n’accorder aux laïques que des «privilèges exceptionnels» – entendre ici: «en attendant qu’on ait des prêtres pour le faire» – pour réaliser ces tâches fait en sorte que les compétences requises pour celles-ci ne se développent pas comme il le faudrait.
Correction historique
L’emballement des réseaux sociaux et l’indignation unanime face à des incidents comme celui du prêtre-gifleur montre bien que la désacralisation de la société occidentale est acquise et, espérons-le, irréversible. Il y en a bien quelques-uns qui aspirent encore à un monde rêvé dans lequel la religion serait dominante et s’imposerait à tous. Mais ne pouvons que nous réjouir du fait que désormais les «hommes de Dieu» sont d’abord vus comme des hommes tout court.
La conscience morale individuelle a conquis son autonomie. Elle est le fait de personnes dont la foi repose moins sur des doctrines, bien qu’essentielles, mais qui seront toujours à réarticuler, et davantage sur l’esprit qui sous-tend la «connexion» avec le divin. Ainsi, la «foi» ne devrait jamais être coupée de la «raison».
Le christianisme et l’islam sont des religions qui ont apporté de grandes réalisations au cours de l’histoire. La vitesse avec laquelle le monde change leur présente un défi à la hauteur de leurs aspirations les plus hautes: peuvent-elles demeurer audibles et surtout crédibles face à la conscience moderne du croyant qui sait prendre ses distances avec ce qui était autrefois intouchable?
Le prêtre n’est plus un personnage sacré. Pour accomplir les rites d’une Église ou d’une religion, quelle qu’elle soit, ses ministres ne peuvent plus se comporter comme s’ils étaient au-dessus et à l’abri des récriminations du peuple. En faire des êtres sacrés est une faille de toutes les religions que l’histoire est en train de corriger.
Heureux sommes-nous de pouvoir vivre en ces temps où la religion devrait enfin jouer son véritable rôle: permettre aux gens de grandir en humanité, d’approfondir sereinement leur foi et d’y trouver des éléments de sens pour les grands et petits événements de la vie.