Le 25 juillet 2016, le prêtre Jacques Hamel a été lâchement assassiné en France, à l’occasion de sa messe quotidienne, en présence de quatre fidèles. Sa mort s’ajoutait ainsi à la longue liste des victimes innocentes de ce mouvement barbare qui se nourrit à même la haine de l’autre, la soif de vengeance, l’intégrisme religieux et le refus de la différence.
Bien entendu, un prêtre égorgé au beau milieu de la messe qu’il célébrait ne peut que conduire l’Église à une canonisation quasi automatique et sans doute bien légitime. On peut comprendre l’empathie que ce meurtre a pu susciter chez les catholiques. J’en ai cependant contre la récupération de l’événement comme le prétexte qu’il manquait pour inciter à une nouvelle croisade. Lorsque je vois des titres comme Le premier martyr de l’islam en terre d’Europe ou encore La France égorgée, là mais pardon, je décroche complètement…
Bien sûr, ce prêtre est et sera reconnu martyr de la foi. Mais il est certainement loin d’être seul à avoir vécu une fin semblable. Combien d’hommes, de femmes et d’enfants ont pu éprouver un dernier élan de vie offert à Dieu au moment de mourir sauvagement? Combien d’entre eux, croyants, fidèles, ont pu avoir été engagés au service de la fraternité humaine? Dire qu’il s’agit du premier martyr de la foi m’apparaît aujourd’hui comme un déni de toutes les morts qui ont précédé celle du prêtre français.
Martyr de tout ce qui fait l’humain
Et il n’y a pas que de la foi dont tous ces morts témoignent. Nous trouvons des martyrs par milliers derrière les guerres qui poussent des marées humaines à quitter leur pays pour aller on ne sait où. Ceux et celles qui, comme le petit Aylan Kurdi, sont morts en chemin sont des martyrs de l’espérance. Ceux qui sont tombés sous les balles des fous du Bataclan sont des martyrs de la beauté dont la création artistique est la mise en forme. Ceux qui ont laissé leur peau sur cette terrasse parisienne un soir d’été ou le long de la Promenade des Anglais sont des martyrs de l’amitié, de la convivialité et de la joie de vivre. Ceux qui ont été tués dans ce marché d’alimentation juif sont des martyrs de l’essentiel qui consiste à se nourrir soi-même et les siens. Ceux qui ont vu partir un fils, une fille lors d’un attentat sont des martyrs de la famille endeuillée par la folie humaine. Ceux dont la vie a été arrachée alors qu’ils tentaient de soigner des victimes sont des martyrs de la charité!
Toutes les morts innocentes à l’occasion de carnages, de bombardements anonymes, d’offensives injustifiées sont et seront toujours, pour le reste des humains sur terre, des martyrs de l’humanité.
Tout saint qu’il soit, le martyre d’un prêtre n’est pas au-dessus de celui de n’importe quel humain innocent, encore moins celui d’un enfant. Car lorsqu’un seul humain meurt par la main d’un autre, que ce soit en raison de sa foi ou simplement parce qu’il est ce qu’il est, c’est un peu de toute l’humanité qui meurt aussi à travers lui.
Alors si le père Jacques Hamel est un martyr de France, il est vital de reconnaître à travers lui toutes les autres morts provoquées par l’aliénation humaine, en particulier si celle-ci est embrigadée dans la croyance qu’un dieu puisse la susciter et l’encourager. Chaque vie sacrifiée sur l’autel des martyrs sera pour toujours un témoignage à la vérité, à la justice et à la paix.
Enfin, pour ce qui est de la suite, il n’est pas rare que la mort soit source de fécondité et de vie nouvelle. Toutes ces morts connues et toutes celles qui sont restées anonymes finiront bien par stimuler la créativité des responsables politiques, des associations qui défendent les droits des uns et des autres, de toutes les religions et de toute la société civile qui est mise au défi de trouver des solutions réelles et efficaces pour que le concert des nations retrouve peu à peu une certaine harmonie.